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Eva GARCIA BALAGUER
Chargée de mission de l’Observatoire pyrénéen du changement climatique (OPCC), Communauté de travail des Pyrénées (CTP)
Jean-Louis VALLS
Directeur, Communauté de travail des Pyrénées (CTP)
Qu’ils soient espagnols, français ou andorrans, les territoires pyrénéens sont interdépendants et les enjeux qui les traversent sont liés. La Communauté de travail des Pyrénées propose d’observer le massif dans son entièreté et de construire des actions transfrontalières. Son Observatoire pyrénéen du changement climatique en est une parfaite illustration. Eva Garcia Balaguer, chargée de mission OPCC et Jean-Louis Valls, directeur de la CTP en témoignent.
La Communauté de travail des Pyrénées est une structure de coopération unique en son genre, sans égal dans les autres massifs européens. Pouvez-vous nous la présenter ?
Jean-Louis Valls : La Communauté de travail des Pyrénées (CTP) regroupe les régions françaises de Nouvelle Aquitaine et d’Occitanie, les Communautés Autonomes espagnoles de Catalogne, d’Aragon, de Navarre et du Pays basque, ainsi que la principauté d’Andorre. Sa présidence est tournante. Elle est actuellement assurée par la région Occitanie jusqu’en 2025. La CTP a été créée en 1983, soit trois ans avant l’entrée de l’Espagne dans la Communauté économique européenne (CEE) et sept ans avant le premier programme de coopération européenne INTERREG[1]. La CTP est donc une pionnière de la coopération transfrontalière européenne ! Les vingt premières années, le travail de la CTP s’est organisé sous forme de commissions thématiques pour échanger des bonnes pratiques, mais sans financement de projets. En 2003, la CTP a été désignée par la Commission européenne, la France et l’Espagne comme organisme de gestion du programme de coopération entre l’Espagne, la France et l’Andorre, appelé INTERREG POCTEFA[2]. Depuis, au-delà de favoriser les échanges et l’interconnaissance entre les territoires et les acteurs du massif pyrénéen, la CTP œuvre à trouver des solutions communes aux défis partagés à l’échelle du massif, et à mettre en œuvre des actions mutualisées pour répondre à ceux-ci, spécialement pour le changement climatique. Ces actions sont engagées par le biais de projets labellisés INTERREG POCTEFA, ainsi qu’à travers un plan d’action appelé « Stratégie pyrénéenne 2018- 2024 ». Celle-ci est structurée en quatre axes : action pour le climat ; promotion des initiatives et attractivité ; mobilité, connectivité, accessibilité ; gouvernance, capitalisation, communication. Le projet le plus emblématique est notre Observatoire pyrénéen du changement climatique (OPCC), créé en 2010, et qui constitue un réseau dynamique d’organisations spécialisées dans les Pyrénées. Le travail de coopération au sein de l’OPCC a permis la définition d’une « Stratégie pyrénéenne pour le changement climatique » à horizon 2050 (EPiCC[3]) et son plan d’action opérationnel 2030 qui est actuellement en application. Là encore, c’était une première en Europe !
Comment fonctionne cet Observatoire pyrénéen du changement climatique ?
Jean-Louis Valls : L’objectif initial était de créer cet observatoire avec un géoportail en ligne pour mettre à disposition du public des données climatiques historiques et prévisionnelles, à l’échelle de l’ensemble du massif. Cela a demandé un important travail préparatoire pour l’interopérabilité des données, car celles-ci ne sont pas structurées de la même façon en France, en Espagne et en Andorre. Météo France n’analysait pas les données de la même façon que ses homologues espagnols par exemple.
Eva Garcia Balaguer : En plus des questions d’interopérabilité des données, un des autres défis de l’OPCC est que notre territoire d’observation est une zone de montagne, avec une grande hétérogénéité. C’est-à-dire qu’il y a des altitudes différentes, des orientations différentes, et donc des vulnérabilités singulières. Par ailleurs, les stations météo sont installées dans la plaine ou en moyenne montagne, rarement en altitude. C’est un réel challenge, car on a jusqu’ici peu étudié comment se comporte le changement climatique en altitude. On a des idées, des modèles existent, mais il faut les approfondir, les préciser pour limiter les incertitudes. Il est donc important pour nous de travailler avec des modèles permettant d’atteindre des échelles fines. Les équipes autour de l’OPCC travaillent aujourd’hui sur une modélisation avec une résolution de 1 km². Et des travaux sont en cours pour réduire cette maille sur des secteurs à enjeux.
Jean-Louis Valls : Pour faire vivre cet observatoire, la CTP travaille en réseau avec des organismes et des entités spécialisées de chaque territoire. Ainsi, chacun des sept territoires membres de la CTP a désigné deux personnes référentes, spécialistes du changement climatique, qui participent au comité technique de l’OPCC. Les travaux de l’OPCC ont permis la création d’un référentiel du changement climatique en zone de montagne et transfrontalière, ainsi que la rédaction d’une stratégie de lutte contre le changement climatique (EPiCC) en zone de montagne, en croisant stratégies nationales et stratégies régionales, en identifiant les convergences et les divergences. C’est là encore une démarche inédite !
Quels sont les principaux enseignements de l’OPCC ? Quelle en est la portée ?
Eva Garcia Balaguer : Jusqu’à récemment, quand on parlait de changement climatique, il n’y avait pas de focus fait sur les zones de montagne. Et encore moins sur les Pyrénées ! Quand on parlait de montagne à l’échelle européenne, il s’agissait principalement des Alpes et des Carpates. Nos travaux ont contribué à la prise de conscience de la grande vulnérabilité des zones de montagne face au changement climatique. Ils ont démontré que les Pyrénées sont le massif le plus vulnérable en Europe, dans lequel la disparition des glaciers est la plus visible, avec un risque de disparition totale. D’après nos estimations, il y aura une importante diminution du manteau neigeux dans les Pyrénées en 2050. Avec la disparition de glaciers qui se transformeront en lacs, c’est une nouvelle biodiversité qui apparaîtra, la présence d’autres espèces animales et végétales. Cela se traduira en outre par une irrégularité des précipitations, avec beaucoup moins d’enneigement. Il est donc nécessaire de réfléchir à une nouvelle gestion de l’eau, sans quoi la raréfaction de la ressource entraînera indirectement une baisse de la qualité des sols. Il faut aussi avoir en tête que les effets du changement climatique en montagne sont à croiser avec les effets des changements socio-économiques. Par exemple, la diminution des surfaces d’estives faute d’éleveurs et de bétail renforce d’autant plus la vulnérabilité de ces espaces. Ces enseignements ont été présentés aux Nations Unies, et celles-ci ont décidé d’ajouter un chapitre spécifique aux montagnes pour la prochaine COP et dans leurs rapports internationaux.
Quelles sont les actions mises en œuvre pour répondre aux défis identifiés par l’OPCC ?
Eva Garcia Balaguer : Au début de l’OPCC, nous essayions avant tout d’agréger des informations générales et homogènes à l’échelle de tout le massif des Pyrénées. Depuis quelques années, nous nous concentrons sur des projets avec des actions démonstratives pour montrer aux territoires comment agir rapidement et efficacement. Plus d’une trentaine d’actions démonstratives seront ainsi développées dans plusieurs domaines (économie, tourisme, pastoralisme, biodiversité, eaux souterraines…). Il s’agit aussi de partager des bonnes pratiques, des retours d’expériences, de produire des guides d’intervention et d’animer les interventions en adaptation. Nous produisons ainsi des dispositifs d’animation pour différents types de publics. Nous travaillons par exemple avec les différents acteurs des stations de ski pour les sensibiliser, les former, les informer sur l’adaptation au changement climatique. Nous engageons en parallèle des projets sous forme de “living lab” auprès d’agents communaux et d’entreprises locales. Nous travaillons également avec le grand public, et spécifiquement avec les jeunes. Nos travaux servent enfin, bien entendu, à l’élaboration de documents d’aide à la décision pour avancer dans l’adaptation du territoire pyrénéen.
Jean-Louis Valls : Les recommandations de l’OPCC sont aussi mises en œuvre à travers le projet européen LIFE “PYRENEES4CLIMA”. Nous envisageons celui-ci comme le fil rouge des actions pour le climat dans les Pyrénées pour les prochaines années. Nous avons ainsi le projet de créer une communauté thématique sur le changement climatique en regroupant tous les projets POCTEFA et LIFE, ainsi que ceux du plan d’adaptation au changement climatique du versant nord des Pyrénées, développé par le commissariat de massif côté français. Toutes les actions du programme LIFE viendront se diffuser dans ces différents dispositifs. La CTP joue donc un rôle fédérateur sur ces thématiques !
[1] INTERREG : interrégional.
[2] POCTEFA : Programme opérationnel de coopération territoriale Espagne-France-Andorre.
[3] Estrategia Pirenaica del Cambio Climático.
Entretien réalisé par Geneviève Bretagne, Directrice des partenariats à l’AUAT, Laurène Pillot, chargée de projets Transition écologique à l’AUAT et Morgane Perset, rédactrice en cheffe de BelvedeR, chargée de mission Partenariats à l’AUAT.
©D. Romero Studio