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Mariette SIBERTIN-BLANC
Maître de conférences en aménagement et urbanisme, membre du LISST – CIEU
Université Toulouse II – Jean-Jaurès
Dans les villes petites et moyennes ou les territoires ruraux, la planification urbaine repose largement sur l’ingénierie des bureaux d’études. Pour ces derniers, l’implication dans la réalisation de PLUi ou de SCoT relève autant de compétences techniques et réglementaires que pédagogiques et relationnelles.
Entretien avec Pierre ALBERT, responsable Occitanie du bureau d’études CITTANOVA
La planification concerne désormais des territoires très divers – des villes petites et moyennes aux espaces ruraux. Quels besoins et demandes de ces territoires rencontre un bureau d’études (BE) ?
Hors métropole, les réalités locales rencontrées sont très diverses, renvoyant à des trajectoires territoriales singulières. Ainsi, dans le cas d’une mission pour des acteurs historiques tels que la Communauté d’agglomération du Grand Rodez, la démarche de planification se fait avec des techniciens qui savent que le BE n’est que de passage : ils sont en demande d’apport de connaissances et d’accompagnement, pour ensuite mener l’action. Dans des territoires où l’ingénierie est faible (des techniciens moins nombreux, souvent moins expérimentés), les attentes sont très fortes ; or le BE est là pour élaborer le projet avec les élus, non pas pour le faire vivre… On ne peut que constater le manque de ressources humaines, y compris pour l’organisation logistique, la mobilisation des acteurs, l’assistance juridique, pourtant essentielles à l’exercice de planification qui se déroule dans un cadre législatif éloigné des compétences présentes localement. À ce titre, le BE assure implicitement un temps de formation des techniciens et des élus. Ceci s’est renforcé avec le retrait des services de l’État.
Précisément, le cadre législatif évolue régulièrement mais semble avant tout pensé pour les grandes villes soumises à une forte pression foncière. Or ce n’est pas le cas partout…
Les exigences réglementaires se sont en effet complexifiées et sont souvent incomprises par les élus. Ils ont donc une préoccupation prioritaire : éviter les contentieux juridiques de plus en plus fréquents, par exemple autour des questions environnementales. On constate comme un écho à ce que dénoncent les « gilets jaunes » : une vision très parisienne et métropolitaine du développement urbain, avec des contraintes qui sont souvent reçues comme décalées par rapport au vécu local. Très vite, le cadre national est considéré comme autant d’injonctions technocratiques, déconnectées des réalités locales : la planification se révèle alors moins au service d’un projet de développement qu’une contrainte.
Au-delà du changement d’échelle, la généralisation des PLUi a-t-elle eu d’autres implications ?
Le passage au PLUi suscite des ambiguïtés car l’État a mis en avant l’idée que le PLUi ferait faire des économies, alors que si on veut garder la finesse d’analyse et promouvoir une vision réellement intercommunale, cela prend beaucoup de temps – donc représente un coût pour les collectivités. C’est surtout pour la ville-centre que la donne a changé : si elle acquiert la capacité à discuter avec sa périphérie, elle fait toutefois l’objet d’une moindre attention dans l’analyse qui ne peut s’attacher aux détails de sa complexité territoriale. C’est l’exemple d’une ville-centre qui représente 70 % de la population du PLUi : bien sûr, dans une dynamique intercommunale, le BE ne peut pas concentrer le temps de la mission au prorata de son poids démographique !
Dans l’idéal, il faudrait accompagner les territoires à formuler leur projet de territoire, puis à construire les outils réglementaires. Or dans une démarche d’élaboration de PLUi, pour répondre aux contraintes temporelles et financières, on est obligé de laisser de côté de nombreux aspects qui donnent des pistes pour un projet : développement économique, culturel, vie sociale, etc. Les élus peuvent parfois exprimer une certaine frustration, regrettant que cette dimension projet ne soit pas davantage approfondie. Mais on est bien d’accord : l’attente majeure des élus reste la définition des parcelles urbanisables !
On observe une priorité donnée à l’ouverture à la construction dans les grandes villes. Qu’en est-il dans les espaces ruraux où l’interconnaissance est importante ?
Dans les petites villes ou les espaces ruraux, une double réalité exige un certain savoir-faire et savoir-être. Premièrement, on fait de la prospective avec des élus qui ont majoritairement plus de 75 ans et qui magnifient la ruralité des années 1970. Par ailleurs, les maires sont réellement sous pression, ils connaissent tous les propriétaires : chaque terrain n’est pas un numéro de parcelle, c’est quelqu’un ! Et l’ouverture à la construction se révèle être parfois un véritable acte social ! C’est là que le travail du BE est passionnant et nécessite un vrai contact humain avec des élus pour faire de la politique, c’est-à-dire construire une stratégie, changer les représentations, amener à faire des choix. Dans ce contexte, il est primordial de bien connaître la réalité de ces territoires, de comprendre les références de ses interlocuteurs, d’être impliqués dans les relations humaines.
L’évolution des outils de planification et des territoires concernés implique-t-elle de nouvelles compétences d’accompagnement ?
Aujourd’hui, les collectivités portent souvent une ambition autour de la concertation : les missions intègrent donc fréquemment une étape dans ce sens, qui nécessite des compétences d’animation et d’imagination. Dans le cadre d’une mission pour l’élaboration d’un SCoT, des expériences de concertation se sont révélées très intéressantes avec les collégiens sur le changement climatique à Carcassonne. Mais il faut reconnaître que c’est parfois décevant, en particulier quand on cherche à mobiliser autour des phases réglementaires et opérationnelles : il est souvent difficile de susciter l’intérêt et des contributions actives. D’un côté, les élus ne sont pas toujours prêts pour recevoir un discours différent et l’intégrer dans l’action ; de l’autre, les habitants pensent qu’ils peuvent dire les choses en direct aux élus et donc ne voient pas l’intérêt des ateliers de concertation. Des outils numériques peuvent être intéressants pour diversifier les propositions mais, à nouveau, on doit composer avec des singularités territoriales : l’âge des élus et la faiblesse du débit…
D’autres compétences plus techniques deviennent également nécessaires dans ces démarches de planification qui ont aussi affaire à la gestion territoriale : par exemple, pour intégrer plus franchement la question financière à la réglementation urbaine.
Finalement, on a souvent à trouver des interstices dans ces missions de planification : entre vision nationale et réalités locales, entre représentation des élus et législation, entre attentes des individus et intérêt collectif.