Stations en tension et injonction à la transition écologique

Stations en tension et injonction à la transition écologique

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Maîtresse de conférences en aménagement et urbanisme, Membre du Laboratoire Interdisciplinaire Environnement Urbanisme (LIEU), Aix Marseille Université

Professeur émérite des universités en aménagement et urbanisme, Membre du laboratoire Centre d’Étude et de Recherche Travail, Organisation, Pouvoir (CERTOP), Université de Toulouse

Depuis les années 1985-1990, le secteur touristique est entré dans une phase de changement global causée par de multiples facteurs, notamment les aléas liés au changement climatique, et dernièrement les impacts liés à la crise énergétique.

 

Dans les Pyrénées, la baisse tendancielle de l’enneigement et sa variabilité interannuelle, mises en évidence par Météo France (+1,7 °C entre 1882 et 2017 pour le massif), interrogent le modèle des stations de sports d’hiver, fondé sur l’activité touristique hivernale. Parallèlement, de nouveaux phénomènes, apparus ces dernières années, invitent à une mutation des stations, tels que l’importance des demandes non directement sportives (présence de non-skieurs et vieillissement des visiteurs), les exigences croissantes de qualité esthétique et environnementale, la réduction du temps de séjour et la volatilité plus grande des clientèles touristiques et récréatives, ou encore la concurrence accrue entre les destinations et l’obsolescence de certaines infrastructures désormais cinquantenaires.

 

Des stations confrontées à l’enjeu de la transition écologique

Alors que l’attention portée à la qualité du cadre de vie et de séjour prend une importance accrue pour les habitants et les visiteurs, la question de la requalification des stations et de l’aménagement des territoires de montagne (Hatt et Vlès, 2014) s’impose également dans une perspective de transition écologique et énergétique. Selon un rapport de l’ADEME paru en 2022, le transport représente 66 % des émissions de gaz à effet de serre des stations de sports d’hiver, et l’énergie des bâtiments touristiques, 10 %. Cette problématique se pose plus particulièrement aux « archipels d’altitude », ces stations créées ex nihilo, en haute altitude (« skis aux pieds »), dans les années 1960-1970, du temps de la démocratisation des vacances, de la diffusion de l’automobile et de la pratique intensive du ski.

Après avoir été encouragés à la durabilité, les territoires de montagne sont ainsi appelés à se saisir de l’injonction à la transition touristique et écologique. Celle-ci est portée par une intense production législative (loi SRU[1] de 2000, loi Alur[2] de 2014, loi TECV[3] de 2015, loi Énergie et Climat de 2018, ou encore loi Climat et résilience de 2021 fixant l’objectif de zéro artificialisation nette d’ici 2050), mais aussi par des initiatives gouvernementales (plan « Avenir montagnes »), associatives (label « Flocon vert » de l’association Mountain Riders ou label « Bâtiments / Quartiers Durables Méditerranéens » puis « de montagne » de l’association EnvirobatBDM), ou encore par des mobilisations citoyennes.

L’enjeu est important pour le massif pyrénéen[4], dont l’emploi salarié touristique[5] est évalué à 16 % des 50 000 emplois salariés totaux, les communes supports de stations concentrant les deux tiers de l’emploi salarié touristique. Si toutes les stations et leurs domaines skiables ne seront pas touchés de la même manière par les évolutions à venir (selon leur altitude, l’orientation géographique de leurs pistes, la vétusté de leur équipement, leur mode de gestion, ou encore la proximité et la fidélité de leur clientèle), l’injonction à la transition écologique et énergétique invite à questionner leurs modèles et leurs perspectives d’aménagement. Les facteurs qui structurent leur mutation sont nombreux et d’ordre systémique, liant les questions de protection des milieux naturels, de l’arrêt de leur consommation de sols naturels par artificialisation, de la maîtrise du foncier, de l’articulation des échelles de gestion des territoires, des évolutions des pratiques et des investissements touristiques.

 

Gourette, Pyrénées-Atlantiques ©Vincent Vlès

Les politiques urbaines et de réhabilitation de l’immobilier de loisirs comme leviers de sobriété

La rareté du foncier et les faibles possibilités d’extension liées aux fortes contraintes environnementales engagent à une gestion plus économe de l’espace. Le défi est de taille. Selon une étude d’Atout France datant de 2013, les départements liés à la « montagne » concentrent 54 % des investissements liés à l’hébergement, celui-ci étant le plus gros poste d’investissement.

Le parc immobilier de loisirs des stations de montagne, variable selon les territoires, mais constitué principalement de résidences secondaires (plus de 95 % des 1 320 logements à Gourette), est vieillissant et souffre d’une forme d’obsolescence liée au manque de réinvestissement et à l’éclatement de ses modes de gestion. L’érosion du parc d’hébergements marchands (2 % par an) et sa transformation en résidences secondaires sous-utilisées (lits dits « froids » ou « tièdes ») impacte directement le niveau de fréquentation des stations et participe d’une forte demande d’autorisations à bâtir. Depuis 2015, la loi offre aux communes touristiques (donc aux stations situées en zone tendue) un dispositif permettant aux élus locaux de majorer de 5 à 60 % la taxe d’habitation des résidences secondaires.

 

Panticosa, province de Huesca ©Vincent Vlès

Depuis le 1er janvier 2024, la quasi-totalité des stations peuvent désormais « surtaxer ». Malgré une large application, les résultats semblent encore décevants (Belgodère & Casamatta, 2023) : le recul de la progression des résidences secondaires est à peine sensible (-5 %), mais les prix de l’immobilier continuent leur hausse. L’exemple suisse montre que seule la mise en place de quotas permettrait de stopper la croissance des résidences secondaires (Clivaz, 2015).

Les recettes fiscales résidentielles associées à la production d’hébergements (taxe foncière et taxe d’habitation) peuvent apparaître comme une solution pour les élus des territoires de montagne confrontés au remboursement des emprunts contractés pour investir dans les équipements touristiques et le domaine skiable[6]. Une partie importante des dynamiques spatiales liées au développement résidentiel dans les territoires touristiques est ainsi attachée à la croissance des produits fiscaux assis sur le foncier et l’immobilier, tendance qui pourrait être renforcée dans un contexte de contrition des finances publiques[7]. Parallèlement, la production de résidences secondaires est soutenue par la filière immobilière (construction, maintenance, vente et location). Les entreprises du BTP constituent ainsi le 3e pôle d’emploi en haute montagne, après les emplois liés aux sports de montagne et au commerce (Marieu, 2019).

Ce processus de renouvellement par extension, en périphérie des noyaux bâtis et dans la vallée (Vlès, 2014), plutôt que par rénovation de l’ancien, produit une fuite en avant immobilière, un « système en spirale » (dépréciation des standards locatifs, baisse d’attractivité, difficulté à réinvestir dans les équipements, etc.).

 

Saint-Lary-Soulan, Hautes-Pyrenées ©Vincent Vlès

Face à la hauteur des enjeux sur ces territoires, le législateur a instauré, dans la loi SRU de 2000, le dispositif des opérations de réhabilitation de l’immobilier de loisirs (ORIL), afin de soutenir les opérations de renouvellement urbain dans les territoires touristiques (Hatt, 2019). Les expérimentations conduites dans ce cadre ayant été peu concluantes, et le problème persistant 15 ans plus tard, une adaptation du dispositif a été intégrée dans la loi du 28 décembre 2016, considérée comme l’acte II de la loi Montagne. Elle introduit un assouplissement de la liste des bénéficiaires des aides et des obligations pesant sur les propriétaires pour la location du bien. Un appui en ingénierie dédié aux ORIL est proposé dans cette perspective par l’État depuis 2022[8]. Parmi les 25 stations retenues, 7 sont pyrénéennes (Ax-les- Thermes, Les Monts d’Olmes, Peyragudes, La Pierre Saint-Martin, Grand-Tourmalet, Saint-Lary- Soulan, Font-Romeu).

La réhabilitation de l’immobilier de loisirs est ainsi un enjeu identifié, mais reste néanmoins encore un défi à relever pour contribuer à l’objectif de réduction de l’artificialisation des sols. Des pistes sont plus largement à explorer pour limiter la tension sur le marché immobilier des territoires de montagne, qui complexifie les possibilités de logement des habitants et des saisonniers : classement en zone tendue, définition de zones destinées à la résidence principale, fixation d’objectifs plus ambitieux pour le calcul des logements sociaux à créer, encadrement des prix du foncier pour limiter la spéculation, développement du bail solidaire… Optimiser le foncier déjà urbanisé, opter pour un développement économe en espace, limiter les constructions nouvelles par la réhabilitation du parc immobilier, encourager des formes urbaines plus compactes (petit immeuble collectif, habitat intermédiaire, groupement de maisons), s’inscrire dans un principe d’économie circulaire pour un modèle plus sobre en carbone, en énergie et en ressources naturelles demandent toutefois de la volonté, des moyens financiers et du temps. Les enjeux actuels de sobriété dans l’utilisation des sols, mais aussi de l’énergie, invitent, au-delà de l’immobilier, à interroger également le secteur des déplacements, la mobilité étant au cœur des pratiques touristiques et récréatives.

Accompagner la transition touristique des territoires de montagne par la planification territoriale

La question du changement d’échelle apparaît essentielle pour penser la transition écologique, mais également touristique des territoires de montagne. Les stations sont ainsi invitées à s’adapter aux nouvelles attentes des visiteurs par la dilatation de leur ancrage et par la gouvernance intercommunale du tourisme, qui induisent une redéfinition des solidarités territoriales (Vlès, 2014). Dans cette perspective, le projet intercommunal permet d’atteindre une taille critique pour définir et conduire des projets touristiques interconnectés. Le SCoT[9] constitue un outil stratégique de planification à cette échelle.

L’intense production législative visant à répondre aux objectifs de durabilité, puis de transition écologique, commence à se traduire dans les documents de planification territoriale qui gagneraient désormais à mieux intégrer les problématiques touristiques auxquelles les territoires de montagne doivent faire face. Bien que le code de l’urbanisme n’impose pas de disposer d’un volet touristique dans les documents d’orientation et d’objectifs, le SCoT apparaît être un document légitime pour accompagner les dynamiques touristiques, en prescrivant des objectifs transversaux, et pourrait ainsi prétendre à devenir le volet territorial et prescriptif des stratégies touristiques des territoires à échelle large (Thoumire-Alcelay, 2018 ; Caparros, 2018 ; Adeus, 2016). Une recherche portant sur l’élaboration du SCoT de la Communauté de communes des Pyrénées catalanes a permis de mettre en évidence la contribution à la définition d’un projet touristique intercommunal, mais également les freins à l’intégration des problématiques touristiques (en particulier le devenir des sports d’hiver) dans ce document de planification (Hatt, 2021).

 

Piau-Engaly, Hautes-Pyrenées ©Vincent Vlès

Les mobilités, comme la ressource en eau, l’énergie, la biodiversité ou les liens systémiques avec l’agriculture et les services sont des questions, peu abordées jadis, dont se saisissent désormais les territoires touristiques, à l’échelle des intercommunalités, mais également des parcs naturels régionaux et nationaux qui enserrent désormais les sites équipés en ski alpin. Limiter la dépendance des territoires à l’économie touristique, en pensant la complémentarité des activités économiques, constitue un enjeu majeur pour réduire la vulnérabilité de ces territoires et favoriser la qualité de vie à l’année des habitants. Le chantier de la transition touristique et écologique des stations de montagne constitue ainsi un vaste défi qui nécessite de repenser le projet des territoires de montagne dans une approche multidimensionnelle et multiscalaire, en imaginant les liens entre la station et la vallée dans une perspective de long terme, tout en considérant les incidences du changement climatique.

 

 

Bibliographie

ADEUS (Agence de développement de l’urbanisme de l’agglomération strasbourgeoise), « L’intégration du tourisme dans les SCoT », Les notes de l’Adeus n° 201, 2016, 4 pages en ligne.

BELGODÈRE Antoine, CASAMATTA Georges, « Second home taxation: Effects of the 2015 French reform », 2023.

CAPARROS Philippe, « Le SCoT, un outil adapté à la planification touristique », Revue Espaces tourisme et loisirs n° 341, mars 2018, 9 p.

CLIVAZ Christophe, GONSETH Camille et MATASCI Cecilia, Tourisme d’hiver : le défi climatique, EPFL Press, 2015.

HATT Émeline, « Quelle place pour le tourisme dans la planification spatiale des territoires de montagne ? Enquête au sein de la Communauté de communes des Pyrénées catalanes », Sud-Ouest Européen n° 51, déc. 2021, p. 109-126.

HATT Émeline, « Refaire la station sur la station », Urbanisme n° 411, janvier 2019, p. 38-41.

HATT Émeline et VLÈS Vincent, « Mutations socio-environnementales et perspectives d’adaptation des stations de montagne pyrénéenne », Sud-Ouest Européen n° 37, 2014, p. 15-28.

MARIEU Jean, « Planifier la croissance des résidences secondaires », Revue Urbanisme n° 411, 2019, p. 42-44.

THOUMIRE-ALCELAY Maylen, « Intégrer le tourisme dans les SCoT : plus qu’un enjeu, une nécessité » , Revue Espaces tourisme et loisirs n° 341, mars 2018, 6 p.

VLÈS Vincent. Métastations : mutations urbaines des stations de montagne. Un regard pyrénéen, Presses universitaires de Bordeaux, 2014, 191 p.

 

 

[1] Loi SRU : loi Solidarité et renouvellement Urbain.

[2] Loi Alur : loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

[3] Loi TECV : loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

[4] La zone de montagne touristique pyrénéenne couvre 630 communes réparties dans les Pyrénées Atlantiques, les Hautes- Pyrénées, la Haute-Garonne, l’Ariège, l’Aude et les Pyrénées Orientales. Les emplois du tourisme peuvent être directs (exercés dans des établissements fournissant directement des biens ou services aux touristes) ou induits (exercés dans les établissements fournissant des biens ou services aux établissements indiqués précédemment).

[5] D’abord concentrés dans les zones frontalières des Pyrénées centrales (territoires touristiques avec stations de ski) et en Cerdagne-Capcir (extrême-ouest des Pyrénées-Orientales), les emplois présentiels sont, en 25 ans, gagné tout le piémont de ces zones. L’Aude et les Pyrénées-Atlantiques, départements à forte tradition et production agricole, restent à l’écart de cette importante progression, selon une étude de la Confédération pyrénéenne du tourisme –Données DADS 2003.

[6] Un rapport de la Cour des comptes de 2015, ciblé sur le massif pyrénéen, fait état de nombreuses saisines des chambres régionales des comptes et de situations financières très fragiles de certaines stations avec des niveaux de déficit et de dette importants (en particulier dans les Pyrénées-Orientales).

[7] Grandclément et Boulay (2015) ont travaillé sur l’hypothèse de la résidentialisation des produits fiscaux locaux à partir d’une enquête conduite sur le littoral méditerranéen. Ils ont montré que celle-ci est inégale sur les territoires, et plus marquée dans les arrière-pays (phénomène de convergence entre l’étalement urbain et la résidentialisation des produits fiscaux). Belgodère et Casamatta (2023) ont travaillé sur « l’impact des résidences secondaires : effets de la réforme française de 2015 ». Christophe Clivaz a

publié un article sur « l’avenir des résidences secondaires en Suisse après l’acceptation de l’initiative Weber » dans la Revue Espaces Tourisme et Loisirs en 2015.

[8] Dispositif France Tourisme Ingénierie, piloté par Atout France et la Banque des Territoires.

[9] SCoT : schéma de cohérence territoriale.


©Vincent Vlès

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