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Guillaume DOYE
Adjoint de la direction des études, de la stratégie et de la communication
Epareca
Depuis 20 ans, Epareca, l’établissement public d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, a pour mission de favoriser l’aménagement et la restructuration des espaces commerciaux et artisanaux dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Depuis la promulgation de la loi ELAN, il peut également être l’opérateur national dédié à la revitalisation des commerces et de l’artisanat des cœurs de ville dans le cadre des ORT.
Entretien avec Valérie LASEK, Directrice générale d’Epareca
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi l’intervention dans les quartiers en difficulté nécessite un outil spécifique piloté par l’État ?
Les quartiers de la politique de la ville sont ceux qui concentrent les populations les plus fragiles et où les conditions de réussite des projets sont sans aucun doute les plus difficiles à réunir. C’est ce qui justifie une intervention accrue de l’État aux côtés des collectivités concernées. Le commerce et l’artisanat sont des activités marchandes pour lesquelles l’État pourrait n’avoir aucune raison d’intervenir. Le fait est que les conditions économiques sont parfois tellement dégradées que les acteurs privés se détournent de ces quartiers, alors même que leurs habitants ne disposent plus d’aucune offre correspondant à leurs besoins. Epareca intervient donc quand la logique privée fait défaut et que les collectivités n’ont pas, à elles seules ou avec leurs opérateurs, les moyens en termes d’ingénierie et de capacités d’investissement pour restructurer les commerces de proximité dont on parle.
Comment l’intervention de l’Epareca s’insère-t-elle dans la politique de la ville ? Le commerce est-il envisagé comme le levier d’une politique publique à visée plus large, comme par exemple une condition sine qua non de l’amélioration du cadre de vie des quartiers, de renforcement des réseaux de sociabilité, de développement économique… ?
Effectivement, nos opérations s’inscrivent de préférence dans un projet urbain d’ensemble qui traite l’ensemble des fonctions urbaines : le commerce, mais aussi l’habitat, la circulation, les équipements scolaires, les aménagements des espaces publics. C’est le rôle déterminant que jouent le NPNRU et le nouveau dispositif ACV, en mettant en place un accompagnement fort, sur la durée, en partenariat avec la collectivité. Quand on oublie le développement économique du quartier, en laissant de côté l’activité commerciale, on néglige les enjeux d’appropriation par les habitants du quartier rénové. Avec la redynamisation des activités commerciales et artisanales de proximité se joue en partie la confiance des habitants dans l’avenir.
Il n’est plus à prouver que le dynamisme du tissu commercial est une composante essentielle de la qualité de vie urbaine. Les commerces de proximité fournissent des services du quotidien à des populations peu mobiles et sont également porteurs de lien social. Stimuler ou reconstituer des commerces et de l’artisanat contribue également à l’accès à l’emploi, participe au renouveau du cadre de vie, a fortiori quand on lui donne les meilleures chances de réussite.
Quels sont les résultats produits par l’intervention de l’Epareca dans les quartiers en difficulté ? Arrivez-vous à inverser la tendance ?
Depuis une vingtaine d’années, Epareca a restructuré près de 60 polarités, en intervenant sur le commerce mais aussi l’artisanat. Les résultats sont convaincants pour la majorité des opérations, qui ont pu être remises sur le marché dans de bonnes conditions. En moyenne, Epareca exploite les locaux pendant 8 ans avant leur remise sur le marché et s’assure de la pérénnité des activités. Et 3 ans après revente, les indicateurs sont bons. Cela étant, rien n’est acquis tant que l’image du quartier n’a pas définitivement changé. Et si les résultats sont parfois contrastés, les facteurs exogènes à l’opération proprement dite jouent beaucoup : la sécurité et l’appropriation des espaces publics sont des enjeux majeurs qui justifient le partenariat dans la durée entre les acteurs publics et privés.
Y a-t-il des conditions favorables ou au contraire des contextes plus difficiles ?
S’agissant des conditions économiques, le potentiel marchand ou de développement économique pour l’artisanat reste un prérequis incontournable. Et selon l’environnement concurrentiel, on pourra justifier d’un nombre de mètres carrés de locaux commerciaux pertinent. Le portage politique du projet restera toujours un sujet essentiel pour mener des opérations complexes où chacun joue son rôle dans la durée. L’implication de l’ensemble des partenaires locaux est évidemment un facteur clé pour traiter la question commerciale dans sa globalité : qualité des espaces publics, accessibilité, sécurisation des sites, travail sur le changement d’’image. Les contextes les plus difficiles cumulent les problématiques économiques, juridiques et foncières : mobiliser des prérogatives de puissance publique tout en intervenant en réhabilitation sur site occupé relève d’une véritable gageure.
Comment l’intervention de l’Epareca est-elle accueillie par les habitants et les commerçants préexistants ? Comment travaillez-vous avec ces derniers ?
Nous nous appuyons sur les collectivités pour échanger avec les habitants et commerçants présents, de plus en plus souvent dans une démarche structurée de concertation dans le cadre des conseils citoyens. La démarche d’études préalables nécessite une consultation des exploitants et des propriétaires de commerces en place, qui est conduite de façon individuelle et confidentielle, pour entreprendre ensuite les démarches afin de les associer à la définition du futur projet. Notre objectif est bien de susciter l’adhésion des commerçants comme des habitants. Cela étant, l’intérêt public de l’opération dans son ensemble justifie que l’on contrarie les logiques privées et qu’on ait recours à des procédures d’utilité publique pour mener l’opération à son terme.
À quels leviers avez-vous recours pour attirer de nouveaux commerçants indépendants et des enseignes nationales ?
Nos partenariats avec les chambres de commerce et les chambres de métiers prennent tout leur sens dans le cadre des opérations que l’on mène, aussi bien pour la recherche de nouveaux candidats que pour l’accompagnement des entrepreneurs au moment du transfert de leur activité et après installation. Epareca entretient par ailleurs un dialogue constant avec les enseignes alimentaires au niveau national, et adapte ses programmations au format des supérettes qui pourraient être implantées dans les quartiers. En termes d’image, c’est souvent pour les habitants un bon signal de voir revenir les enseignes classiques.
Travaillez-vous avec des opérateurs commerciaux ? Sur quels projets ? Quels sont les avantages et les inconvénients de ces partenariats ?
Si nous sommes amenés à intervenir, c’est justement parce que les opérateurs commerciaux classiques n’investissent pas, ou plus, dans ces quartiers. L’enjeu de notre intervention, c’est qu’ils puissent investir une fois la restructuration opérée, les fondamentaux économiques restaurés et la rentabilité retrouvée. Ce sont donc nos partenaires à terme. Au moment du montage du projet, on s’assure que les opérateurs privés ne se positionnent pas avant d’agir. On commence à envisager des montages en co-investissement public-privé, qui pourrait se justifier dans le partage du risque. Le modèle économique d’Epareca est proche du leur : c’est ce qui permet un dialogue efficace et, on l’espère, rapidement fructueux.
Acronymes :
ACV : Action Coeur de Ville
ELAN : Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique
ORT : Opérations de Revitalisation de Territoires
NPNRU : Nouveau Programme National de Rénovation Urbaine
© Epareca, P. Caumes
Contenu additionnel :
Lien vers le site internet de l’Epareca : http://www.epareca.org/
Lien vers le centre de ressources en ligne de l’Epareca : http://www.capville.fr/