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Morgane PERSET
Chargée De Projet Prospective Et Grands Territoires
aua/T
Au-delà de la dimension festive, la nuit est un temps durant lequel se déploient les activités qui préparent la ville diurne… mais bien plus encore. La nuit urbaine est une dimension plus complexe qu’il n’y paraît et recèle des potentiels jusque-là peu envisagés du point de vue du fonctionnement urbain global. Survol de réflexions actuelles et d’initiatives toulousaines et européennes sur les enjeux et les potentiels de la nuit urbaine.
Exploration nocturne des enjeux urbains
Vers une banalisation de la vie nocturne
L’évolution des modes de vie, la réalité du temps continu de l’économie et des réseaux entraînent des usages démultipliés de la ville la nuit. En parallèle, s’observe une colonisation progressive de la nuit par des activités traditionnellement diurnes (commerces alimentaires par exemple). Si de plus en plus d’acteurs s’emparent de ces questions, cette dimension de la ville reste peu explorée. On peut sans doute expliquer cette situation par le difficile exercice d’observation de ce temps de la ville, les données statistiques y étant bien souvent non adaptées car non spécifiques à cette temporalité. La principale donnée date de 2012 et n’est disponible qu’à l’échelle nationale. Il s’agit du nombre de travailleurs de nuit (entre minuit et 5 h), estimé à 3,5 millions de personnes, soit plus de 15 % des salariés 1. Ce chiffre serait en augmentation constante depuis 20 ans. En l’absence de données locales, l’association Toulouse Nocturne a choisi d’extrapoler cette proportion de 15 % de salariés et estime ainsi le nombre de travailleurs de la nuit de l’aire urbaine de Toulouse à près de 30 000 (Toulouse Nocturne, 2014).
La banalisation de la nuit annonce-t-elle une ville qui ne s’arrête pas ? Si le fonctionnement de la nuit urbaine sort des coulisses, quels impacts sont à attendre en matière de gestion urbaine ? Nos politiques publiques doivent-elles freiner ces évolutions ou les accompagner ?
Une ville 24 h / 24 ?
Depuis le début des années 2000, la question de la ville la nuit ne cesse de prendre de l’ampleur avec notamment l’élection – non officielle – de « maires de la nuit », rôle honorifique d’ambassadeurs des noctambules, des travailleurs de nuit, des riverains, etc. Amsterdam, Londres, Tokyo, Paris, Nantes et plus récemment Toulouse ont ainsi élu leurs ambassadeurs, représentants ou maires de la nuit. Christophe Vidal, élu en 2013 et à la tête de l’association Toulouse Nocturne, explique ainsi l’importance de la défense du droit à la ville de nuit comme de jour afin que chacun – travailleur, voyageur, noctambule mais aussi dormeur – puisse bénéficier d’un cadre de vie nocturne de qualité. De la même manière, il porte aussi un discours sur les devoirs de chacun pour que la nuit ne soit pas une zone de non-droit. Cela passe notamment par des actions de prévention en matière de santé publique et de sécurité. Il milite aussi pour que la dimension nocturne soit intégrée au sein des différentes politiques publiques toulousaines, à l’image d’autres métropoles françaises qui ont des élus et des conseils en charge de la nuit. En 2014, à la suite des États généraux de la nuit de Toulouse, un livre blanc ainsi qu’une feuille de route proposant une vision politique de la question ont été publiés (Toulouse Nocturne, 2014). La réflexion sur l’intégration au sein des politiques publiques semble ainsi aujourd’hui incontournable.
La nuit urbaine, nouvel élément de marketing urbain ?
La prise en compte progressive de la dimension nocturne des villes s’accompagne d’un glissement de point de vue : d’une source de nuisances à un levier de développement économique. Ainsi, au-delà des questions de gestion urbaine – 6 000 à 7 000 personnes présentes dans les bars de la rue Gabriel Péri les jeudis et samedis soir d’après Toulouse Nocturne – les métropoles se comparent aujourd’hui en fonction du dynamisme de leurs nuits urbaines. En France, preuve de l’intérêt porté en matière d’attractivité territoriale, le gouvernement a créé en 2016 un pôle d’excellence « Tourisme nocturne ». De la même manière, les collectivités mais aussi les associations s’intéressent au poids économique que représentent les activités de nuit. À quelle hauteur contribuent-elles au PIB de nos villes ? Toulouse Nocturne a ainsi impulsé la réalisation d’une étude sur l’économie de la nuit, étude réalisée par la Ville de Toulouse et dont les résultats seront publiés prochainement.
La nuit, nouveau pôle d’attractivité touristique et économique pour nos territoires ? Auparavant perçue comme une nuisance, la nuit urbaine devient aujourd’hui un nouvel élément de marketing urbain… qui ne va pas sans poser problème.
Référence bibliographique
Toulouse Nocturne, le Livre Blanc de la nuit, 2014.
- Données DARES, 2012. Les cinq familles professionnelles les plus concernées sont : conducteurs de véhicules, policiers et militaires, infirmières, aides-soignantes et ouvriers qualifiés des industries de process.
Contenu additionnel :
Site de l’association Toulouse Nocturne : toulousenocturne.com