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Dynamique et ancrage dans la métropole toulousaine
Emmanuel EVENO,
Professeur des universités en géographie, Directeur du LISST – CIEU Université Toulouse II – Jean Jaurès
La géographie de l’économie numérique est depuis les années 1960 guidée par les politiques nationales d’aménagement du territoire. Entre implantation périphérique ou en cœur de ville, la question de la territorialisation du numérique interroge le rapport à l’urbanité.
Les différents types d’espaces qui émergent dans la métropole toulousaine autour des start-up du numérique illustrent la tension qui existe entre deux logiques d’implantation. D’une part une logique technopolitaine, que l’on pourrait qualifier de centrifuge, et d’autre part celle qui renvoie aux demandes d’aménités urbaines des acteurs du numérique, demandes plutôt centripètes, car le plus souvent satisfaites par les centres-villes.
Tropisme technopolitain
Dans les premiers temps du déploiement d’une économie fondée sur la ressource et les compétences informatiques, à partir des années 1960 donc, ce fut plutôt la logique technopolitaine qui fut à l’honneur. L’informatique était alors considérée comme une spécialité liée aux mondes de la recherche ou des industries de haute technologie et se logeait dans les espaces dédiés à ces activités. Plus particulièrement, la logique technopolitaine privilégiée était celle qui avait été captée par les acteurs du sud-est de l’agglomération (autrement dit par le Sicoval). Avec les années 2000, alors qu’il n’est plus question de parler de secteur informatique, mais de secteur numérique, ce tropisme technopolitain semble un temps conforté par la politique nationale des pôles de compétitivité. Sur plus d’une centaine de pôles labellisés entre 2010 et 2011, Midi-Pyrénées en obtient en janvier 2011 un dédié à l’« Économie numérique ». Il s’installe, naturellement, sur le site de l’Innopole de Labège qui peut revendiquer le plus grand nombre d’acteurs agissant au sein de la filière et les meilleurs succès. À côté coexistent sur le territoire d’autres associations d’acteurs du numérique. Certaines sont d’initiative publique, d’autres relèvent d’accords entre entrepreneurs et sont l’expression des liens complexes tissés sur ces territoires et entre ces acteurs. Toutefois, cette logique technopolitaine, centrifuge, semble désormais contrebalancée par les effets des politiques plus récentes au niveau national en matière de stimulation de l’économie numérique et qui s’incarnent notamment dans les « Cantines numériques ».
Quartiers numériques et reconquête des centres-villes
Aujourd’hui, l’initiative French Tech continue certes dans la logique des pôles de compétitivité en consacrant le rôle de « fer de lance » des métropoles, mais elle innove voire marque une rupture avec les politiques précédentes en ramenant dans les centres-villes les logiques autrefois distribuées dans les zones périphériques. Les critères de sélection des candidatures à la labellisation French Tech intègrent ainsi l’idée de « quartier numérique » qui renvoie à un modèle d’urbanité qui n’est plus celui des « antipoles » et autres « technopoles ». Dans ces critères, il est notamment question de « structurer un territoire » ainsi que d’inciter à l’installation d’un « bâtiment totem » qui soit visible et accessible aussi bien aux niveaux international et national qu’auprès des habitants de la métropole.
L’appréciation du rôle des Cantines au sein des candidatures French Tech fournit une première clé intéressante pour comprendre ce nouveau tropisme qui semble pousser certains acteurs numériques vers la reconquête des centres-villes. Ces lieux représentent en effet des tentatives d’ouverture des acteurs des mondes de la recherche et de la haute technologie vers celui des usagers du numérique. Les Cantines, comme d’autres dispositifs tels que les « FabLabs » par exemple, ont besoin de réinvestir les centres urbains pour essayer de diffuser la « culture numérique » et recruter de nouveaux acteurs, éventuellement porteurs de nouvelles dynamiques économiques. Elles sont en effet des lieux qui ont besoin de s’ancrer et de participer aux aménités urbaines dans la mesure où ils se destinent à l’accueil d’une nouvelle catégorie de travailleurs, ceux dont une partie de l’activité repose sur l’usage du numérique et qui, par ailleurs, sont assez souvent en mobilité. En même temps, à l’instar de la Cantine première du genre (dès 2008, dans le quartier du Sentier à Paris), elles se veulent foyers de rassemblement de la communauté des travailleurs et des usagers du numérique dans les espaces métropolitains. C’est ainsi que ces lieux participent à la réinstallation dans les centres-villes d’activités de haute technologie.
À Toulouse, en rejoignant le Quai des Savoirs, la « Cantine numérique » s’ancre à la fois dans le centre-ville et dans un « nouveau quartier » dédié à la « société de la connaissance », car regroupant le siège de l’Université Fédérale de Toulouse, des associations de culture scientifique et technique (Science Animation, Les Petits Débrouillards, Planète Sciences Midi-Pyrénées, La Mêlée), des académies et sociétés savantes et le Muséum d’Histoire Naturelle.