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La métropole toulousaine « sous influence » du fleuve Garonne
Anne PÉRÉ,
Architecte Urbaniste, Maître assistante en Ville et Territoire, membre du LRA École Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse
Les risques naturels liés à la submersion des zones urbanisées reviennent au premier plan de l’aménagement du territoire. Pour cause, la visibilité mondiale des catastrophes climatiques et des inondations, mais aussi l’accentuation, depuis une dizaine d’années, des épisodes dramatiques dans des territoires où l’on avait oublié le rapport à la géographie, au fleuve, à la mer et où l’on avait souvent construit sans précaution suffisante. La métropole toulousaine est particulièrement concernée par cet enjeu.
Toulouse s’est implantée dès l’Antiquité à la confluence des rivières venues des Pyrénées proches, sensibles aux inondations qui accompagnent la fonte des neiges. Le fleuve est utilisé pour les activités économiques comme pour la ressource en eau potable.
Protéger la ville de l’eau
À la fin du XVIIIe et début du XIXe siècle, la protection du centre ancien est organisée par un ensemble de ports et de quais. Tous ces efforts de protection s’avèrent insuffisants lors de la crue historique de 1875 qui ruine le quartier Saint-Cyprien et la totalité des franchissements à l’exception du Pont Neuf. Un service spécial de l’État élabore au XXe siècle un projet de protection qui aboutit dans les années 1960 à la chenalisation du fleuve dans sa traversée de la ville, coupant physiquement celle-ci de l’eau, laissant les bords de Garonne au stationnement des voitures dans sa partie urbaine et aux décharges de déchets à l’extérieur. En amont et en aval des digues, le fleuve continue de divaguer et l’étalement urbain est venu en partie dans son lit majeur.
Prévenir le risque d’inondation
Laissé dans un oubli relatif, le risque inondable revient en force dans la métropole toulousaine à partir des années 2000 à travers la réalisation tardive des Plans de Préventions des Risques Inondables (PPRI) et la reconsidération des digues. Leur vulnérabilité par endroits pourrait engendrer des ruptures, elles deviennent « transparentes » dans la réglementation, inconstructibles ou très contraintes à l’arrière. Les discussions avec l’État aboutissent néanmoins à des ajustements permettant de tester de nouvelles formes d’implantation vers le fleuve. C’est le cas du quartier des Sept Deniers utilisant des immeubles en soutien de la digue. Cet accord expérimental fera ensuite jurisprudence dans le PPRI où l’interdiction de construction pourra être levée en cas de confortement de digues. Le transfert de la gestion des digues à la commune est également demandé par l’État. Les discussions autour des travaux de confortement à réaliser ‒ qui resteront pris en charge par l’État ‒ ont permis de réfléchir à un aménagement plus large mettant en valeur la grande promenade territoriale que constitue aussi une ligne continue de digues, à l’exemple de la reconstruction récente de la digue en terre de Langlade.
Préserver les territoires inondables
L’inondation devient également une opportunité qui a permis de préserver des territoires jusqu’au cœur de l’agglomération. La figure territoriale du fleuve est concrétisée par le Grand Parc Garonne, au périmètre quasiment identique à celui du lit majeur. Biodiversité, espaces agricoles périurbains, promenades, loisirs deviennent la face révélée du territoire inondable. À la confluence Ariège-Garonne, un projet de Réserve Naturelle Régionale est proposé comme porte de la métropole.
L’île du Ramier illustre ce nouveau rapport au fleuve. Elle se compose au début du XXe siècle d’activités industrielles et d’un parc urbain de plus 50 hectares, puis elle se densifie à partir des années 1950 malgré l’inondabilité accentuée par l’endiguement. Retrouver la fonction perdue de parc urbain passera par une déconstruction du parc des expositions et une renaturalisation tenant compte du lien avec l’eau.
S’adapter au risque pour vivre avec l’eau
Enfin, et comme dans beaucoup d’autres villes, il ne s’agit plus seulement d’interdire, mais de trouver de nouveaux modes de faire « avec l’eau ». Ainsi, l’ancien site d’AZF, marqué par le risque technologique, devait trouver une opération de résilience par rapport à la catastrophe. Le projet de l’Oncopole a été développé dans une zone pourtant inondable, inscrite comme « grand secteur d’enjeux » au PPRI avec des règles particulières. L’adaptation au risque a été recherchée en modélisant finement le site. L’accessibilité est organisée pour une évacuation depuis la route départementale non inondable. Les constructions sont entièrement ou partiellement sur pilotis, édifiées sur une même horizontale invisible, la ligne des plus hautes eaux.
À Toulouse comme dans beaucoup d’autres villes, la conscience renouvelée de la fragilité des protections et de l’incertitude face aux nouveaux épisodes climatiques a engendré des interventions innovantes, moyens techniques, mais aussi nouveaux rapports à l’eau, à la sobriété et aux paysages. L’inondabilité liée à la Garonne n’est plus uniquement une contrainte, elle devient un aiguillon et une ressource pour réinventer le territoire.
Références :
- BONNET F. (sous la dir. de), Atout risques, des territoires exposés se réinventent, collection Territoires en projets, éditions Parenthèses, 2016.
- CHAPEL E., PAPILLAULT R. et PÉRÉ A., Toulouse Territoires Garonne. Habiter en bord de fleuve, collection Architectures, éditions PUM, 2012.
- TERRIN J.J. (sous la dir. de), Villes inondables prévention, adaptation, résilience, collection La ville en train de se faire, éditions Parenthèses, 2014.
photos © Archives Municipales de Toulouse