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Morgane PERSET
Rédactrice en Cheffe de BelvedeR, chargée de mission Dialogues urbains, AUAT
Médiatisée par le Banquet du livre, manifestation littéraire estivale, et par son label « plus beau village de France », Lagrasse jouit depuis une vingtaine d’années d’une dynamique culturelle qui irradie les territoires alentour. C’est le fruit d’un projet initié dans les années 1990 par les Éditions Verdier, pérennisé et amplifié grâce à l’implication d’acteurs publics locaux.
Tous les étés, le village audois de Lagrasse accueille jusqu’à plus de 20 000 visiteurs pour son Banquet du livre. La manifestation littéraire réunit aussi bien un public local, régional, que des Parisiens et des Anglais que le Brexit n’a pas découragés de rejoindre leurs résidences secondaires des Corbières. Ce public cosmopolite se retrouve pour des conférences littéraires et philosophiques dans la partie laïque de l’abbaye de Lagrasse et sous la halle de ce petit village de moins de 600 habitants pour les conversations sur l’histoire de Patrick Boucheron.
En 1979, les Éditions Verdier sont fondées au lieudit du même nom, non loin de Lagrasse. L’envie de partage et de faire du lien sur le territoire les amènent à créer l’association Le Marque-Page pour organiser un événement autour des idées et de la philosophie. C’est ainsi que naît le Banquet du livre au milieu des années 1990. D’année en année, l’événement accompagne le développement économique et touristique du village avec une programmation culturelle et artistique portée par l’association (Banquets de printemps, d’été, d’automne, rencontres, ateliers, résidences… dans les domaines du livre, de la pensée et de l’image), mais aussi par d’autres acteurs associatifs et publics (festivals de musique, marché de potiers…). « Dès le premier Banquet en août
1995, un public nombreux a manifesté un soutien indéfectible à notre association. Un écho médiatique national a fait découvrir le village de Lagrasse et ses environs à une population en recherche de sites préservés où il est encore possible de se baigner entre deux rencontres littéraires… » explique Colette Olive.
À ses débuts, le Banquet du livre fonctionne uniquement grâce à des bénévoles et est gracieusement accueilli par la mairie de Lagrasse dans l’abbaye. Il abrite une librairie éphémère tenue par la librairie toulousaine Ombres Blanches pendant le temps de la manifestation. En 2008, le conseil départemental de l’Aude rachète les lieux, les restaure et les aménage. L’exploitation du site est depuis partagée entre le Département, pour la vocation touristique et patrimoniale, et l’association Le Marque-Page. La même année, la « Maison du Banquet et des générations » est inaugurée, accueillant sous son toit les activités de l’association, un café et une librairie – cette fois permanente –, Le nom de l’homme. L’implication du conseil départemental aux côtés de l’association Le Marque-Page permet ainsi la pérennisation et l’amplification de la dynamique locale impulsée par le Banquet du livre.
Pour preuve, la librairie Le nom de l’homme connaît depuis son ouverture un succès grandissant. Elle fonctionne à ses début grâce au catalogue des Éditions Verdier et au fonds d’Ombres Blanches. Avec le succès du Banquet, elle propose désormais dans à peine 50 m² un fonds plus généraliste mais toujours exigeant de 6 500 références renouvelées et enrichies en adéquation avec les goûts du lectorat local. Plus qu’un commerce, la librairie est un lieu de partage et d’échange. « En 2014, il y a eu un vrai essor de la librairie vis-à-vis de la clientèle locale et pourtant on est en plein boom d’Amazon ! » explique Aline Costella. C’est que la librairie ne semble avoir été fragilisée ni par le e-commerce, ni même par les confinements alors que, dans le même temps, quelques librairies indépendantes du département ont disparu. « Dans les Corbières, on fait facilement une heure de route pour aller au marché, alors pourquoi pas à la librairie ?! » Le nom de l’homme est ainsi en croissance depuis 2018 alors que nombreux étaient ceux qui jugaient le projet fou à son lancement. C’est pour Aline Costella un « vrai succès de territoire ». Et ce succès pourrait s’amplifier avec l’agrandissement prévu de la librairie dans le cadre du passage de relais de l’association Le Marque-Page vers un établissement public de coopération culturelle et de la labellisation en Centre culturel de rencontre de la partie laïque de l’abbaye.
C’est donc un nouveau chapitre du développement local, culturel et patrimonial de Lagrasse qui s’ouvre. Le Département, la Région, la communauté de communes région lézignanaise Corbières- Minervois et la commune de Lagrasse portent ainsi collégialement depuis quelques années la démarche de labellisation en Centre culturel de rencontre, démarche imaginée autour d’un projet scientifique et culturel sur le langage et les récits intitulé Les arts de lire. Pour ce faire, un Etablissement public de coopération culturelle a été créé pour reprendre la gestion des lieux en régie au 1er janvier 2022.
Les Centres culturels de rencontre sont issus de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine de 2016 [1]. Le décret qui précise leur contenu les situe au croisement des « problématiques du développement territorial, de la transmission culturelle, d’intégration professionnelle, d’innovation technologique, de développement durable, de tourisme et des industries créatives, offrant une vision novatrice de la promotion du patrimoine ».
Avec la labellisation en Centre culturel de rencontre, l’enjeu est de prendre le relais de l’association Le Marque-Page pour développer un projet plus large, institutionnalisé et bénéficiant d’une visibilité supplémentaire. « Les Centres culturels de rencontre ont vocation à rayonner sur le territoire mais aussi à l’international » explique Colette Olive. Une programmation annuelle enrichie sera ainsi proposée et la restauration du site sera poursuivie. Rendez-vous pris l’an prochain pour connaître la suite de cette histoire de développement local au long cours écrite à plusieurs mains.
Article rédigé sur la base d’un entretien avec Aline Costella, de la librairie Le nom de l’homme à Lagrasse et Colette Olive, éditrice et co-fondatrice des Éditions Verdier.
[1] Décret n° 2017-434 du 28 mars 2017 relatif au label « Centre culturel de rencontre » pris pour l’application de l’article 72 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.