Quand le sentiment d’appartenance communale rencontre les orientations d’aménagement métropolitaines

Quand le sentiment d’appartenance communale rencontre les orientations d’aménagement métropolitaines

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Florence LAUMIÈRE,
Maître de conférence en aménagement et urbanisme, membre du LISST – CIEU Université Toulouse II – Jean Jaurès

Des signaux qui interrogent quant à un certain antagonisme entre intégration à la métropole et revendication d’une identité locale à protéger.

Tournefeuille, troisième ville de Haute-Garonne (26 206 habitants en 2013) jouxtant Toulouse, participe pleinement du fonctionnement et de l’identité du territoire métropolitain. Sa croissance démographique depuis le milieu des années 1970 (5 300 habitants en 1975 et 22 700 en 1999), tout comme sa diversification fonctionnelle en témoignent. Pourtant plusieurs signaux renvoient à une certaine inquiétude quant à la trajectoire empruntée récemment et ne sont pas sans interroger un certain antagonisme entre intégration à la métropole et revendication d’une identité locale à protéger. Un peu comme si, et à l’instar de phénomènes évoqués à d’autres échelles et renvoyant à l’opposition local-global, des habitants s’opposaient à une dilution de leur identité dans l’espace métropolitain et le revendiquaient.

« On est tournefeuillais avant d’être toulousain »

Commune rattrapée par la périurbanisation, le territoire change de profil au milieu des années 1970. L’urbanisation historique de la rue du « village » déborde vite le long de la route filant vers Plaisancedu — Touch et investit les espaces agricoles : nouvelles rues, premiers lotissements. Le changement paysager est en cours, sur le modèle pavillonnaire apprécié des nouveaux arrivants. La municipalité accompagne leur installation par une politique tournée vers la mise à niveau des équipements et services publics de proximité, le soutien aux milieux associatifs, puis l’offre et l’animation culturelle. L’intercommunalité, tardive à Toulouse, ne pèse pas sur les orientations de la gestion locale et les nouveaux habitants, assez proches sociologiquement, dominance de professions intermédiaires et de cadres, bien intégrés socialement et professionnellement, investissent leur nouveau territoire de vie et y apprécient les commodités et le cadre de vie. On est tournefeuillais avant d’être toulousain.

L’affirmation du fait métropolitain

Les années 2000-2010 marquent un changement dans les formes du développement communal. L’affirmation du fait métropolitain ‒ et de l’intercommunalité ‒ s’invite dans la gestion municipale et induisent le renforcement de certains choix municipaux comme la reconsidération d’autres, non sans susciter de débats en lien avec le sentiment d’appartenance territoriale. Un des choix opérés consiste à lancer différents chantiers visant à élargir l’offre culturelle et évènementielle (Le Phare, L’Usine…), à renforcer et relier les trames vertes et bleues (Touch, La Ramée), à monter en gamme dans l’offre d’équipements publics (lycée…), à inciter de nouveaux professionnels à s’installer (médecins spécialisés, notaire…). Tournefeuille confirme son identité tout en rayonnant davantage dans l’Ouest toulousain. En même temps elle doit prendre sa part à la recherche des nouveaux équilibres métropolitains dans un souci de gestion économe des ressources naturelles et agricoles conformément aux attendus des lois SRU, puis ALUR. Comme précisé dans le SCoT adopté en 2012 et par rebond dans les documents d’urbanisme locaux, le territoire communal doit donc se densifier et se renouveler afin de participer au rééquilibrage spatial entre les différents types de logements, permettre le renforcement de la desserte du territoire communal par les transports collectifs…

Les habitants face aux nouveaux équilibres métropolitains

Ces nouvelles orientations d’aménagement questionnent. Alors que la population profite et s’identifie à la montée en puissance de la métropole (économie, formations, culture…), une partie d’entre elle vit assez mal les nouveaux choix urbanistiques opérés et ne semble pas faire le lien entre la croissance métropolitaine, les enjeux d’agglomération et les recompositions urbanistiques communales.

Alors qu’aucune contestation n’existait quand la croissance pavillonnaire explosait et repoussait les limites de l’urbanisation, la réalisation de nouveaux collectifs, agite depuis le début des années 2010 le microcosme local, participe à la création d’associations de défense, voire à la création de mouvements d’opposition s’exprimant régulièrement dans les réunions publiques, notamment celles en lien avec la révision des documents d’urbanisme. Des banderoles sont déployées en cœur de commune renvoyant, via leurs slogans, au refus de la densification et à l’altération de la dimension villageoise de la commune.

Cette réaction peut surprendre. Le choix d’accueillir de petits collectifs au centre de Tournefeuille n’est pas récent. Dès la fin des années 1980, les premiers immeubles voient le jour sans soulever de telles réactions. L’engouement avait été fort et les logements proposés en centre-ville avaient rapidement trouvé preneurs. Cette nouvelle offre présentait l’opportunité d’envisager sur place différentes formes de parcours résidentiels : emménagement de jeunes quittant le giron familial, d’adultes en rupture familiale, de personnes plus âgées souhaitant libérer une maison devenue trop lourde à entretenir…

Comment alors interpréter les réactions actuelles des habitants mobilisés qui appuient largement leur argumentaire sur le caractère « villageois » de la commune, sur ses qualités paysagères, sur l’atteinte au patrimoine local ? Par le sentiment de perte d’identité ? Par les projets « de trop » dans le secteur de densification du centre-ville ? Par le fort attachement des habitants aux lieux, aux maisons fréquentées tout au long de la vie ? Par le phénomène NIMBY ? Par la difficulté à se départir d’une approche diffuse, voire rurale, de la ville, héritée d’une trajectoire sociale (aspirations de populations empreintes du mode de vie rural, à l’espace ouvert) et politique (modes de gestion hérités des trente dernières années) ? Par des revendications portées par des sphères sociales qui ne se reconnaîtraient pas dans les objectifs de mixité sociale intégrés aux programmes immobiliers et inscrits dans les nouveaux documents d’urbanisme ? Par la crainte de voir la valeur des biens diminuer ? Par la difficulté à admettre de nouveaux paradigmes du développement urbain ? Par le rejet d’orientations d’aménagement qui ne se décident plus à l’échelon communal ?

Banderole dans la rue Gaston Doumergue

 

Difficile de trancher, mais force est de constater que l’exemple tournefeuillais se rencontre ailleurs à l’échelle métropolitaine et dans d’autres villes françaises. L’appartenance métropolitaine entre en résonance avec les identités locales, et peut alors provoquer d’assez vives tensions. Cette réalité s’observe aussi autour d’autres dossiers, par exemple celui du déploiement des réseaux de transport en site propre. Y aurait-il une difficulté toulousaine à revêtir les nouveaux attributs métropolitains et dans cette agglomération étendue, celui d’une nouvelle densification ? Comment l’envisager dans le respect de l’environnement et de la valeur patrimoniale des lieux ?

Acronymes :

  • Loi ALUR : Loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové
  • Loi SRU : Loi Solidarité et Renouvellement Urbain
  • NIMBY: Not In My Back Yard
  • SCoT : Schéma de Cohérence Territoriale

 

Photos © F. Laumière

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