Entretien avec Boris Presseq

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Guillaume LEFEVRE
Chargé de projets Transition écologique
AUAT
Laurène PILLOT
Chargée de projets Transition écologique
AUAT

Boris Presseq préserve et valorise les collections du Muséum de Toulouse. Il est également consultant botaniste auprès de différents services de collectivités (Toulouse Métropole et communes limitrophes) pour les sensibiliser et leur apporter son expertise sur l’identification, la plantation et la gestion des végétaux. Ponctuellement, il intervient dans le cadre de projets de partage de connaissances ou de sensibilisation auprès du grand public, et notamment de groupes scolaires. Il partage ici sa connaissance des sols et de la végétation de Toulouse.

Pouvez-vous nous parler des sols de Toulouse et de l’enjeu de leur préservation ? 

Toulouse possède encore des sols « sauvages », non bâtis, non transformés et non remaniés. C’est le cas de Pech-David ou du quartier du Ginestous par exemple. Sinon, ailleurs en ville, les sols sont perturbés depuis l’Antiquité romaine, c’est-à-dire qu’ils ont été creusés et les horizons ont été mélangés. Ces phénomènes se sont fortement accentués à partir de la seconde moitié du 20e siècle, à mesure que l’homme a creusé de plus en plus profond, jusque dans la roche mère, et parfois au-delà de la nappe phréatique. Le métro, les canalisations, les parkings souterrains, le périphérique ou encore le bâtiment du Muséum qui a été creusé à 8 m de profondeur ont chamboulé le sol de façon irréversible.

Plusieurs couches du sol sur une grande surface ont été enlevées pour les besoins d’une construction immobilière (Les Arènes, Toulouse)

Le fait de creuser trop profond entraîne deux phénomènes : la perturbation du sol évidemment, mais aussi la perturbation des écoulements d’eaux souterraines (ruisseaux souterrains et nappe phréatique). Cela a un impact indirect sur la ressource en eau. Les vieux arbres ne peuvent par exemple plus être irrigués naturellement comme avant les grands travaux souterrains. Certaines de leurs racines allaient puiser de l’eau dans la nappe phréatique, ce qui n’est plus possible aujourd’hui. Cela peut être la cause du dépérissement de certains vieux arbres à Toulouse.

Certains sols de Toulouse sont donc à protéger. Citons les sols des collines et des pentes qui sont de véritables « châteaux d’eau », mais aussi les terres agricoles (et boisées) et les grandes surfaces de sols aérés (parcs, aérodrome, hippodrome…). D’autres sont déjà protégés, notamment dans le centre de Toulouse, pour préserver les éventuelles fouilles archéologiques. Les constructions se font ainsi parfois sur pilotis. Mais le sol n’est pas préservé pour maintenir sa qualité en tant que telle, et c’est un vrai problème pour les générations futures.

Selon vous, si la perturbation des sols peut causer le dépérissement de certains arbres, quelles espèces privilégier alors pour les sols urbains ? Quelles sont les essences les plus adaptées pour Toulouse ?

Il existe tout un cortège d’arbres et d’espèces ligneuses qui peuvent se contenter de sols perturbés, remaniés ou faiblement vivants, car ils y sont habitués dans la nature. Ce sont des espèces qu’on dit « pionnières ». Il est par exemple possible d’observer à Toulouse des végétaux qui poussent dans des fissures. On dénombre ainsi aujourd’hui une dizaine d’espèces spontanées et résistantes à des conditions de vie en milieu urbain, qui ont à la fois l’avantage d’être esthétiques et non allergisantes : micocouliers, figuiers, frênes, paulownias, bouleaux, troènes luisants, peupliers blancs et noirs…

Après, si l’on prend en compte les conditions climatiques et physiques actuelles, seul un petit nombre d’espèces peut s’implanter convenablement dans l’agglomération toulousaine. Ce n’est malheureusement pas le cas des chênes verts et des lièges plantés devant la gare Matabiau qui sont en train de dépérir car ils ont été déracinés de leur milieu naturel à un âge trop avancé et ne sont pas adaptés aux conditions urbaines (à l’étroit dans des fosses, soumis au vent d’autan, à la pollution et au vandalisme…).

La formation d’un sol correct, propice à la vie et à la bonne santé des grands arbres nécessite plus qu’une couverture herbeuse. Mais à notre échelle humaine, comment faire accepter cette réalité ? (La Daurade, Toulouse)

Aussi, s’il n’est plus possible en milieu urbain de mettre en contact la fosse de plantation d’un arbre avec la roche mère, il est toutefois important de prendre en compte la surface de sol non imperméabilisée autour de chaque arbre, qui doit être au minimum de 4 m²/arbre. Ce sol, même perturbé, sera approvisionné en eau et en nutriments divers (feuilles mortes, déjections animales, cortèges d’animaux et de champignons vivant dans le sol). Les fosses de plantation ne sont en fait pas indispensables car un arbre est capable de déployer son système racinaire entre des obstacles urbains (canalisations…). Ces fosses ont cependant la faculté de fournir à l’arbre un espace en terre de meilleure qualité que le reste du sol bitumé. Il est par contre illusoire d’espérer conserver une trame brune [1] en milieu urbain car, dans toutes les métropoles, elle est inexistante en l’état actuel.

Comment anticipez-vous les effets du changement climatique dans la gestion des sols et des plantations ?

Anticiper le changement climatique ne veut pas dire qu’il faut nécessairement se projeter dans un futur hypothétique dont on ne connaît pas tous les paramètres. Nous savons que les températures vont très certainement augmenter, mais qu’en est-il des précipitations ? Si elles venaient à augmenter, certaines espèces comme le chêne-liège que l’on implante actuellement en milieu urbain risqueraient de mourir à cause du pourrissement de leur système racinaire.

Il n’est aussi pas garanti qu’un changement brutal de la composition de nos forêts interviendra dans le futur. En effet, tous les végétaux ont une plasticité d’adaptation importante et sont déjà en train de s’adapter aux changements du climat qui s’opèrent. C’est un phénomène encore difficile à intégrer. Anticiper le changement climatique consisterait plutôt à observer au sein des habitats naturels voisins comment le cortège de végétation évolue, et à implanter les espèces qui poussent aujourd’hui naturellement dans les forêts de la région toulousaine. Il est préférable de planter des espèces locales qui s’adapteront, plutôt que d’introduire des espèces exotiques ou venues d’autres latitudes. Il peut aussi être intéressant d’observer l’évolution d’un sol sans entretien. Un projet a d’ailleurs été mis en place sur l’Île du Ramier où le parking de l’ancien parc des expositions va être débitumé et où l’évolution du sol va être étudiée.

Il est dans tous les cas important de préserver un maximum de surfaces de sol qui soient aérées (en contact avec l’atmosphère), et tout projet d’imperméabilisation doit être mûrement réfléchi avant d’être validé. Dans la mesure du possible, il serait important de laisser se revégétaliser les sols qui sont disponibles et qui ne sont pas ou peu fréquentés. La peur consistant à croire qu’il en résulterait une augmentation des espèces invasives ou amenant des nuisances est biaisée. Au contraire : le moustique-tigre par exemple ne prolifère pas le long du canal du midi dont la biodiversité héberge ses prédateurs.

Enfin, il est important de ne pas faire l’amalgame entre les effets du changement climatique global et le phénomène d’îlots de chaleur urbains[2] engendré par l’artificialisation des sols grandissante. Bien plus que le déploiement de technologies permettant de piéger les dégagements de CO2 d’origine urbaine, c’est bien l’accroissement des surfaces de végétation en ville (au sol et sur les toits) qui peut jouer un rôle direct dans l’adaptation au changement climatique en multipliant les îlots de fraîcheur en milieu urbain.

À titre d’exemple, le réaménagement des allées Jules Guesde réalisé il y a quelques années aurait pu faire un pas de plus et donner une part plus importante à la végétation, plutôt que de minéraliser une grande partie de l’espace. Il en va de même pour l’aménagement des allées Jean Jaurès qui pourrait devenir un îlot de chaleur malgré la végétation arborée implantée. Celle-ci pourrait d’ailleurs en partie dépérir du fait d’une proximité trop importante entre les espèces.

Les plantations d’arbres ou l’entretien de vieux spécimens se font aujourd’hui de manière plus respectueuse, mais toujours en considérant le sol comme un support et non comment un milieu vivant : sur cette photo les travaux de voirie sont les plus dommageables pour ces sols (Allées Jules Guesde, Toulouse)

En parallèle du changement climatique, on prend de plus en plus conscience aujourd’hui des effets de l’artificialisation des sols. Pouvez-vous nous parler de ces effets sur le déclin de la biodiversité ?

La bétonisation du sol détruit toute la biodiversité dite « invisible » qu’il referme. De même, le fait de constamment perturber un sol entraîne un déclin progressif mais rapide de la biodiversité. Pour que celle-ci se développe à nouveau, il est nécessaire de le laisser évoluer sans intervention (y compris en tentant d’amender la terre).

La désimperméabilisation d’un sol que l’on laisse ensuite au repos permet un retour rapide, de l’ordre d’un à deux ans, d’une biodiversité qui réapparaît alors à tous les niveaux (faune, flore et champignons). L’opération « Des fleurs sur mon mur » à Toulouse, consistant à percer les trottoirs pour y planter des essences végétales, permet de faire la démonstration qu’une simple mise à nu d’un sol chamboulé permet la réinstallation de végétaux.

 

[1] La « trame brune » est une expression inventée sur le modèle de la « trame verte et bleue », appliquée à la continuité des sols. Largement ignorés pendant de nombreuses années, ces derniers sont pourtant essentiels au fonctionnement des écosystèmes.

[2] Le phénomène des îlots de chaleur urbains (ICU) consiste en une élévation des températures de l’air et de surface des centres-villes par rapport aux périphéries, particulièrement la nuit. Ce phénomène est lié à plusieurs facteurs et notamment à une forte imperméabilisation des sols qui stockent ainsi la chaleur et la restituent la nuit.


© Boris Presseq - Museum de Toulouse

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