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Nathaniel BEAUMAL
Directeur
Terra Innova
Urbanisation, déforestation, agriculture intensive ont un impact de plus en plus fort sur l’occupation de nos territoires et sur la nature, transformant des oasis de biodiversité en mornes plaines ou en jungles de béton.
Pourtant, l’homme n’a jamais eu autant de pouvoirs ni de moyens qui, utilisés à bon escient, permettent de régénérer plus que de détruire. C’est le cas du secteur du BTP[1] sur les sols qu’il impacte. Ainsi, sans vouloir sanctuariser les sols mais en envisageant les terres excavées comme un gisement immense de ressources naturelles, des solutions se dessinent.
C’est l’objectif de l’économie circulaire des terres qui permet, par exemple, de concilier la gestion des déchets issus de la « terre du BTP » et les problèmes de l’agriculture moderne.
Une myriade de sols anthropisés
Nul n’est sans savoir que notre planète est en mouvement perpétuel, et que, par l’action des plaques tectoniques entre autres, des sols entiers ont pu se retrouver par-dessus d’autres sols, à échelle géologique. Ainsi, on retrouve à plusieurs dizaines de mètres de profondeur, notamment en région francilienne, des sables jadis en contact avec les milieux marins.
Et si l’on remonte encore un peu, au commencement, notre planète n’était pas pourvue en sols du tout : Big Bang, laves, roches : le milieu était peu propice à la vie. Et pourtant la nature est parvenue à nous donner certains paysages fertiles que l’on connaît aujourd’hui.
En revanche, il est indéniable que la main de l’homme façonne notre planète depuis plusieurs milliers d’années. Une étude parue dans PNAS fin octobre 2019 démontre, après avoir analysé des dépôts dans plus de 600 lacs à travers le monde, des changements dans leur mécanique de sédimentation il y a 4 000 ans, date qui pourrait correspondre aux premières déforestations liées à l’action humaine. Ces déforestations, à but agricole et/ou d’exploitation des bois, ont généré une érosion manifeste des sols qui se retrouvent ainsi dans les lacs étudiés sous la forme de sédiments. Il y a 4 000 ans donc, l’homme impactait déjà la qualité des sols.
Aujourd’hui, rares sont les sols restés à l’état naturel. Et clairement, ceux-ci devraient être sanctuarisés pour tous les bénéfices qu’ils nous apportent.
Si l’on prend l’exemple de la France, il ne reste plus aucune surface de forêt primaire[2], mais, au mieux, des forêts anciennes[3]. Ce qui veut dire que chaque mètre carré français a subi une intervention humaine : simple coupe, brûlis, déforestation pour la mise en culture, ou urbanisation.
C’est pourquoi, dans cette myriade de sols anthropisés, la reconstitution de sols à base de terres excavées doit être encouragée. Au stade actuel, on peut considérer que le mal est fait. L’enjeu est maintenant d’inverser la courbe et de ne surtout plus urbaniser, labourer, ou déforester à outrance, mais plutôt de reconstituer des bases permettant à la nature de s’exprimer, voire d’accélérer les processus de régénération des sols et des habitats faunistiques et floristiques perdus.
Des terres à profusion pour une nouvelle vie
D’autre part, les travaux urbains génèrent chaque année des millions de tonnes de matériaux terreux qui aujourd’hui, considérés comme déchets, terminent enfouis et sont perdus à tout jamais, alors qu’ils ont mis des millions d’années à se créer.
Pourtant, la terre excavée et les moyens colossaux déployés pour la jeter peuvent permettre demain de régénérer des paysages. À l’image de la permaculture et des travaux de Sepp Holzer[4], nous considérons qu’il n’est pas aberrant, bien au contraire, de modifier un sol ou un écosystème, à condition que l’évolution soit évidemment positive ou à minima ne dégrade pas l’existant. Et effectivement, une fois les conditions propices au développement de la vie créées, ces zones doivent être conservées, et chaque action doit permettre de recréer un cercle vertueux contribuant à stopper l’érosion, à mieux infiltrer les eaux, à stocker du carbone (dans les sols et les paysages), et à ramener une biodiversité qui fait cruellement défaut.
Un sous-sol en ville peut générer un sanctuaire en zone rurale
À titre d’exemple, une terre issue d’un terrassement de sous-sol va permettre de créer un havre de paix pour auxiliaires de culture. Une fois créé, ce talus en terre de chantier sanctuarise l’emprise qu’il occupe, et permet par sa forme d’augmenter considérablement la surface de sol en contact avec l’air, multipliant ainsi les possibilités pour la faune et la flore de le coloniser.
Dans cet habitat, carabes, hyménoptères et coccinelles seront rejoints par des abeilles sauvages qui affectionnent ces terres nues pour y nicher, et viendront remplir leur rôle de pollinisateurs des champs au moment venu.
Pour les habitants du champ (veaux, vaches, cochons…), le talus remplit rapidement son rôle d’obstacle à la dureté des éléments (vent, eau et soleil), évidemment de manière exponentielle une fois que les arbres et arbustes plantés sont arrivés à maturité et créent une barrière naturelle.
Un parking sous un bâtiment de bureaux peut augmenter la rétention d’eau d’une parcelle agricole
Au-delà de la biodiversité, il est possible de réutiliser des terres minérales pour leur fonctionnalité première : servir d’horizon d’exploration aux systèmes racinaires des arbres, cultures et prairies.
Concrètement, cela consiste à ajouter, entre la roche mère et l’horizon A (zone en contact avec l’air), une épaisseur de matière fine permettant une rétention d’eau dans les volumes de vide.
Ces volumes se remplissent en hiver, et permettent d’augmenter considérablement la résistance à la sécheresse d’une parcelle. Ainsi, un agriculteur dont la pâture est grillée avant même que l’été soit arrivé pourra bénéficier d’une pousse supplémentaire d’herbe verte, et cette même parcelle participera activement à l’atténuation des fortes chaleurs à l’échelle locale, grâce au phénomène d’évapotranspiration.
De la ville à la ville, du minéral au végétal
N’importe quelle terre peut être utile, si l’on considère les moyens financiers et matériels à disposition pour la transformer. Ainsi, en utilisant des connaissances agronomiques et un réseau de partenaires du BTP, il est possible de stocker aux abords des villes des volumes de déblais de chantier pouvant, moyennant traitement mécanique et ajout d’intrants organiques, servir à revégétaliser les zones urbaines, en faisant office de substrat fertile.
[1] Bâtiment et travaux publics.
[2] Une forêt primaire, ou plus couramment une forêt vierge, est une forêt composée d’espèces indigènes où aucune trace d’activité humaine passée ou présente n’est clairement visible.
[3] Une forêt ancienne est – dans le langage courant – une forêt présentant un degré important de naturalité et dont les arbres sont manifestement vénérables. Il ne s’agit pas nécessairement d’une forêt primaire (qui n’a jamais été significativement exploitée ni fragmentée ou influencée par l’humain).
[4] Josef Holzer, dit Sepp Holzer, est un agriculteur, un auteur et un consultant international pour l’agriculture naturelle, auteur d’un ouvrage de référence en permaculture : La Permaculture de Sepp Holzer.
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