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Christine ENCINAS,
Chargée de Projet Économie à l’aua/T
Le modèle des centres commerciaux en périphérie, emblème de la consommation de masse au cours des Trente Glorieuses, est aujourd’hui affaibli. En cause, les évolutions rapides des modes de consommation avec la vague du digital, mais aussi l’essor de commerces de proximité qui réapparaissent dans les métropoles. Dans ce contexte, quel sera l’avenir de ce patrimoine immobilier situé dans des zones périphériques, souvent monofonctionnelles, des grandes agglomérations françaises ?
Les impacts des nouveaux modes de consommation sur les centres commerciaux
Durant des décennies, le modèle nord-américain a profondément modifié les habitudes de consommation sur le Vieux Continent avec le développement de la consommation de masse dont le symbole est le centre commercial. L’analyse des évolutions outre-Atlantique reste éclairante pour anticiper les évolutions futures sur nos territoires.
Aux États-Unis, de nombreux centres commerciaux sont en déclin
Outre-Atlantique, l’évolution récente des centres commerciaux situés le long des axes routiers majeurs, aux franges des conurbations, interroge le modèle français. Après la crise économique de 2008, selon Cushman & Wakfield 1, un tiers de ces centres, souvent XXL (pouvant atteindre les 100 000 m²), périclite car l’offre est vieillissante, incapable d’attirer de nouvelles enseignes attractives et d’être compétitive face au commerce en ligne. C’est le cas pour le centre commercial Dixie Square dans l’Illinois, aujourd’hui démoli, ou l’Hollywood Fashion Center en Floride, dont la déconstruction est programmée…
Chiffres clés des centres commerciaux français selon Procos (Fédération représentative du commerce spécialisé) :
- 807 centres représentant 17 millions de m² ;
- 36 000 commerces ;
- 3.2 milliards de visites par an ;
- 450 000 emplois directs.
Un modèle fragilisé dans l’Hexagone
En France, la situation est pour l’heure bien moins « violente » avec, certes, un repli de la fréquentation des centres commerciaux de 0,7 % selon une étude réalisée en 2015 par l’INSEE 2. Un repli au profit des commerces spécialisés de centres-villes et de la vente à distance qui enregistrent des hausses respectivement de + 5,9 % et de + 1,7 %. La première génération des pôles commerciaux semble usée, tant en matière de modèle que de format. Ces grands centres souffrent en effet de nombreuses pathologies : problèmes d’accessibilité avec d’importants bouchons lors des jours de forte affluence, aménagements vieillissants, hausse de la vacance (de 4,6 % en 2012 à près de 8 % en 2014 selon Procos)…
Ce vieillissement s’est accéléré ces dernières années. Alors que le plaisir est un levier fondamental dans l’acte d’achat, le modèle des grands pôles commerciaux est aujourd’hui davantage vécu comme une contrainte. De nouvelles formes de distribution le remplacent, souvent réalisées à partir d’un site Internet (drive, livraison à domicile, AMAP, circuits courts…).
Le multicanal a métamorphosé les modes de consommation. Le e-commerce particulièrement, qui représente aujourd’hui 7 % du commerce de détail. De même, l’achat en ligne continue son ascension fulgurante en France : en dix ans, ce marché est passé de 8 milliards d’euros à plus de 70 milliards en 2016 (selon le service études de la Fevad 3). Une progression du nombre de sites dédiés est aussi observée avec au total, 182 000 sites recensés en 2017).
Comment les centres commerciaux se réinventent-ils pour faire face à la concurrence du Web ?
Les locaux commerciaux restent un actif patrimonial très prisé par les sociétés foncières spécialisées dans l’immobilier d’entreprise, avec des niveaux de performance toujours très attractifs pour les investisseurs. Pour lutter contre la désertification de certains centres commerciaux, d’importants travaux de modernisation sont lancés. Les rénovations font évoluer le concept, comme l’architecture de ces équipements. L’architecte Jean- Paul Viguier parle d’une « véritable chirurgie réparatrice à base de commerces agrégés à d’autres fonctions 4» : culture (cinémas, expositions d’art…), loisirs (animations sportives, parkings transformables en terrains de sport…), santé (spa, centres de remise en forme, centres médicaux…).
Bien entendu, le centre commercial est avant tout un lieu d’échange de biens et de services, mais il cherche à muter pour devenir un lieu de rencontre à l’image des centres-villes. D’ailleurs, certains sont intégrés dans un projet urbain plus large, avec du logement, de l’activité économique, tel le centre commercial de Bobigny 2, rebaptisé « La Place ».
Les nouvelles technologies transforment également l’acte d’achat physique. Les marques développent des concepts numériques pour générer de nouveaux passages en boutiques. Un outillage numérique se développe pour créer de la fluidité dans les rayons et abaisser les temps d’attente en caisse : self-scanning, paiement sans contact, bornes digitales, catalogues interactifs… que l’on nomme le « phygital ». L’on connaît également le « click and collect », mode de vente qui permet au client de réserver en ligne un ou plusieurs produits disponibles en magasin. Se développent aussi des vitrines interactives ou des cabines d’essayage connectées, qui proposent une liste d’autres produits associés à ceux que les clients ont choisis, adaptés à leur morphologie…
Toutes ces évolutions montrent la capacité des acteurs du commerce à faire évoluer les concepts comme les formats pour répondre aux attentes des consommateurs. Elles laissent à penser qu’une partie « des centres commerciaux s’adapteront à ce nouveau monde », comme l’exprime Capitaine Commerce 5, blog dédié au e-commerce. Toutefois, pour certains, l’avenir est compromis car ils sont en dehors des « radars » des investisseurs : trop petits, situés loin des grands flux (population, infrastructures routières) et peu ou pas desservis par les transports en commun. Le centre commercial idéal, situé entre gare et centre-ville, doit être en capacité d’attirer des millions de visiteurs et de proposer une offre éclectique, ludique, composée de multiples outils d’accompagnement numériques.
2. Étude INSEE, comptes du commerce 2015.
3. Évolution du chiffre d’affaires e-commerce, Fevad (Fédération des acteurs du e-commerce et de la vente à distance).
4. À quoi ressemblera le centre commercial de demain ?, LSA Commerce & Consommation, 19 juin 2017.
5. www.capitaine-commerce.com.