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Morgane PERSET
Rédactrice en Cheffe de BelvedeR, chargée de mission Dialogues urbains, AUAT
Les Halles de la Cartoucherie ont ouvert en septembre 2023 dans l’écoquartier toulousain du même nom. Elles proposent une offre sportive adossée à une offre gastronomique et culturelle. Ce projet illustre le développement de lieux dédiés aux activités physiques et sportives au-delà des cadres et des équipements traditionnels, avec leur intégration à des programmations mixtes aux visées commerciales. C’est dans cette nouvelle génération d’équipements sportifs hybrides que s’inscrit le concept proposé aux Halles de la Cartoucherie, avec l’originalité d’être porté par un collectif d’acteurs du monde associatif et de l’économie sociale et solidaire, en premier lieu desquels The Roof et l’UCPA.
La recrudescence des pratiques ludo-sportives s’est confirmée ces dernières années avec, en parallèle, le développement de lieux en dehors du cadre et des équipements traditionnels du sport fédéral [1] (par exemple : foot en salle, salles d’escalade, salles de fitness…). Au-delà de l’aspect purement sportif, ces pratiques physiques libres, individuelles, informelles ou encore spontanées s’accompagnent aussi de la recherche d’hédonisme, de lien social ou de convivialité [2]. Ces évolutions ont amené à l’émergence d’une nouvelle génération d’équipements, les « multiplexes ludo-sportifs protéiformes » comme le décrit le géographe Bertrand Piraudeau [3], c’est-à- dire des équipements privés, en intérieur et/ou en extérieur, associant offre sportive, récréative et marchande. Cette évolution interroge quant à la demande et à l’offre en équipements et aménagements en accès libre ou accessibles sans licence sportive. Elle soulève aussi la question du coût de la construction, de l’entretien, de l’exploitation et de l’animation des équipements et aménagements sportifs, c’est-à-dire du modèle économique de ces équipements, de leur rentabilité et de leur pérennité.
Dans ce contexte, certains acteurs « traditionnels » du monde du sport et des loisirs vont ainsi diversifier leurs offres pour s’adapter à ces évolutions. Les projets auxquels s’associe l’UCPA [4], notamment celui des Halles de la Cartoucherie, en sont un bon exemple.
Traditionnellement connue pour son offre de centres de vacances, l’UCPA se diversifie depuis quelques années à travers l’entité UCPA sport loisirs. Celle-ci développe des complexes sportifs dans le cadre d’opérations immobilières privées à programmation mixte, complexes appelés Sport Stations et Sport Hostels. Ainsi, l’UCPA est propriétaire avec la Caisse des dépôts et consignations de la Sport Station de Bordeaux, aussi connue sous le nom de « cathédrale des sports ». Ce complexe de 15 000 m² sur 5 étages propose des espaces de squash, d’escalade, de fitness, de minigolf, ou encore de virtual sport, ainsi que des escape games, des salles de séminaire pour entreprises et un espace de restauration. C’est donc tout un ensemble de produits commerciaux de sport, de loisirs et de tourisme d’affaires qui y sont proposés sous forme d’« expériences » pour reprendre un concept de marketing. Ainsi, sur le site internet de la Sport Station de Bordeaux on peut lire : « UCPA Sport Station Bordeaux, c’est bien plus que du sport… C’est un véritable lieu de vie, où l’on aime chiller, boire un verre en rooftop avec vue sur la Cité du Vin. […] L’aventure commence ici ! ». On comprend qu’on n’y vient donc pas nécessairement pour faire du sport mais peut-être simplement pour y boire un verre. Dans le 19e arrondissement de Paris, l’UCPA propose une variante « auberge de jeunesse » de ses Sport Stations, avec un Sport Hostel de 200 chambres, un restaurant et 3 000 m² d’activités sportives.
L’UCPA sport loisirs se positionne par ailleurs auprès des collectivités locales à travers son offre Sport Access pour l’exploitation d’équipements sportifs municipaux et intercommunaux sous forme de délégation de service public ou de concession (piscines, patinoires, centres équestres…). Le pôle aqualudique de Carcassonne est ainsi exploité par l’UCPA à travers un contrat de concession d’une durée de 18 ans, avec un tarif préférentiel pour les résidents. Dans le nouveau quartier de la Cartoucherie à Toulouse, c’est cette fois à une démarche unique en son genre que s’est associée l’UCPA.
En 2021, la société d’économie mixte d’aménagement de Toulouse Métropole Oppidea cède au collectif Cosmopolis la halle 121 de l’écoquartier de la Cartoucherie. Le collectif a été fondé à l’initiative d’acteurs locaux de l’économie sociale et solidaire (ESS), de l’immobilier solidaire, de la restauration, de la culture et de The Roof Toulouse, acteur de l’ESS exploitant des salles d’escalade. En 2016, The Roof Toulouse (SCOP alors en création) souhaite répondre à un appel à projets de la Ville de Toulouse pour la réhabilitation et l’exploitation des Halles de la Cartoucherie. Si l’appel à projets de la Mairie vise la création d’une halle gourmande, The Roof Toulouse imagine pour sa part un projet plus large de halles avec une programmation mixte d’activités sportives, culturelles et de restauration, ce qui vaudra au collectif Cosmopolis de remporter l’appel à projets. Le collectif Cosmopolis prendra ensuite la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) s’occupant de la gestion, de la coordination et de l’animation des Halles de la Cartoucherie. Il est rejoint par l’UCPA en 2017 qui se positionne aussi dans la foncière en tant qu’investisseuse du projet, ce qui constitue un gage de sécurité financière et juridique. L’UCPA joue ici un rôle d’accompagnatrice de projets comme elle le fait ailleurs en France. C’est que le modèle économique des Halles de la Cartoucherie est original : il repose sur un équilibre solidaire entre les différentes activités, plus ou moins lucratives ; les loyers ont ainsi été déterminés en fonction de l’impact social des activités et non de la surface qu’elles occupent. Les travaux commencés à l’été 2021 ont permis de transformer un bâtiment industriel de 190 m de long datant du début du XXe siècle en 13 000 m² l’activités mixtes : stands de restauration, école de cuisine, épicerie, espaces de coworking, programmation culturelle, conciergerie et espaces de sport donc. Ces derniers sont répartis entre 2 000 m² de salle d’escalade, d’arts du cirque, de yoga et d’activités dédiées à la petite enfance exploités par The Roof Toulouse, 200 m² de salles de squash, de vélo RPM et de fitness gérés par l’UCPA, ainsi qu’un espace de danse géré par un autre acteur du territoire. L’ensemble est ouvert sur les activités de restauration des Halles. Des mutualisations d’espaces ainsi que l’organisation d’événements communs sont prévues. Une salle de spectacle d’une capacité maximale de 750 places vient compléter l’ensemble.
L’expérience des Halles de la Cartoucherie est suivie de près par d’autres porteurs de projets (collectifs, collectivités…), pour jauger de sa reproductibilité dans d’autres territoires. L’avenir nous dira si l’offre sportive s’avère pérenne auprès des habitants mais aussi des autres usagers (travailleurs, étudiants, personnes de passage), et si son modèle économique solidaire permettra un maintien et un développement des activités.
Article rédigé sur la base d’entretiens avec Matthieu BRIOL, directeur du développement de l’UCPA, Pierre-Olivier DUPUY, cofondateur des Halles de la Cartoucherie, président de The Roof Toulouse et Marion KIRTAVA, directrice communication des Halles de la Cartoucherie.
[1]Voir l’article introductif de Fabrice Escaffre « Les implications des pratiques ludo-sportives dans les enjeux urbains et territoriaux contemporains ».
[2]DUGAS É., « Du sport aux activités physiques de loisir : des formes culturelles et sociales bigarrées », SociologieS, « Théories et recherches », mis en ligne le 10 juillet 2007.
[3]PIRAUDEAU B., « Analyse géographique sur les sports de plage au prisme des transformations et tendances en cours. Essai de synthèse », Staps, n° 124, 2019/2, p. 23-42.
[4]Union nationale des centres sportifs de plein air.
© Julien Petit Pierre