Rider-bricoleurs : l’aménagement urbain à l’épreuve du DIY

Rider-bricoleurs : l’aménagement urbain à l’épreuve du DIY

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Sociologue, chercheur associé au SANTESIH, Université de Montpellier

Les adeptes du Do it yourself modifient la ville pour la rendre plus praticable et vont même parfois jusqu’à créer des spots de toutes pièces, certains riders utilisant pour cela marteau, truelle ou fer à souder. Cette manière de faire et de pratiquer questionne incontestablement la ville contemporaine.

Les enjeux sociaux et urbanistiques autour de la pratique des sports de rue (skateboard, roller, BMX) ont déjà été bien étudiés. Il a par exemple été démontré que les riders [1] pratiquent dans trois types de lieux : les skateparks, l’espace public et les spots DIY [2] (Do it yourself). Contrairement à ce qui était espéré par certains, le skatepark, si bien pensé soit-il, n’empêche pas les riders de s’approprier l’espace public pour le transformer symboliquement et même parfois concrètement. Les riders ne se laissent pas facilement enfermer. C’est ce constat qui amène certaines municipalités à l’international et en France à réfléchir à la mise en place d’une politique inclusive qui a pris le nom de « skatefriendly cities ». L’exemple de Bordeaux est à ce sujet particulièrement intéressant, et les réflexions sont en cours à Toulouse grâce au travail du Consortium Skate 31. Notons qu’un des intérêts de ces politiques plus ouvertes à la complexité du rapport à la ville des riders est de fréquemment aborder la question du DIY. Cela est intéressant parce qu’il s’agit ainsi de dépasser les réflexions sur le sport et la ville en y ajoutant la question de la place laissée aux citadins dans la fabrique de la ville.

Les spots DIY correspondent donc à des lieux de pratique qui ont été bricolés voire construits par ceux qui les utilisent. C’est l’adaptation d’une philosophie issue du mouvement punk aux sports de rue. Il s’agit d’entrer dans une démarche de création sans solliciter l’aide des professionnels spécialistes. Dans le cadre de l’urbanisme, il s’agit de transformer la réalité urbaine par le bricolage non pas par nécessité, mais par envie et conviction. Les spots DIY ne sont donc pas des skateparks puisqu’ils ne sont pas le résultat du travail d’une entreprise spécialisée. Très hétérogènes, certains sont particulièrement élaborés alors que d’autres sont extrêmement minimalistes. Certains se développent sur une grande superficie alors que d’autres sont si petits qu’ils deviennent presque invisibles pour ceux qui ne pratiquent pas. Certains sont imaginés au sein même de l’espace public alors que d’autres se situent dans des espaces privés que les riders s’approprient. Cette diversité rend hasardeuses toutes les tentatives de généralisation, mais il est clair que la pratique du DIY dans les sports de rue est à rapprocher des pratiques dites informelles, c’est-a‑dire des actions qui sont exercées en marge d’une réglementation et qui posent frontalement la question de la légitimité sociale face à la légalité institutionnelle.

 

Bricoler pour rider

 

Historiquement, les premiers spots DIY sont nés de l’inadaptation des premiers skateparks. Ces derniers étaient majoritairement réalisés par des entrepreneurs qui voyaient souvent seulement derrière l’émergence du skateboard une nouvelle source de profit. De nos jours, le nombre de skateparks bien pensés et bien réalisés est en très nette augmentation, mais cela n’empêche pas certains riders d’émettre un certain nombre de critiques. Les adeptes du DIY vivent difficilement le fait que certains skateparks soient incontestablement le résultat d’une volonté de contrôle spatial. De plus, la conception et l’organisation même de la majorité des skateparks ne les satisfont pas. Leur caractère standardisé et normalisé limite la créativité. Selon eux, les skateparks parlent une langue autoritaire parce qu’ils impliquent un comportement attendu. Les propos de Pontus Alv, skateboarder professionnel reconnu pour la construction de nombreux DIY, sont très éclairants : « La plupart des skateparks ont une configuration standard et je ne pense pas que ce soit la meilleure chose. Les spots DIY ont cela de bien que la plupart du temps ils sont un peu bousillés, ça peut être le sol qui est pourri ou le béton qui est irrégulier, ça donne toute sa saveur au spot. […] Un skatepark public a un dessin standardisé et son revêtement est impeccable ce qui, à mon goût, rend l’endroit insipide. » [3]

Pour aller plus loin, il est important de comprendre que les adeptes du DIY ne perçoivent pas la phase de construction comme une contrainte. Au contraire, ces moments leur permettent de « mettre les mains dans le béton ». C’est-à-dire, avec d’autres mots, de travailler manuellement leur environnement pour bénéficier d’un espace de pratique plus en adéquation avec leurs envies. Ils sont ainsi à l’origine des choses. Ils reprennent d’une certaine manière le contrôle. Les riders bricoleurs s’épanouissent dans ce travail manuel qui répond à leur besoin de responsabilité, d’achèvement et d’autoformation. Nous les avons comparés dans un livre à des artisans qui développent des compétences très fines (Riffaud, 2021). Lorsqu’ils coulent du béton ou soudent un nouveau rail, ils transforment à la main leur quotidien urbain et nous montrent que nous sommes bien à l’âge du faire (Lallement, 2015).

 

Détruire ou tolérer ?

 

Dans ces conditions, les résistances sont nombreuses et les destructions fréquentes. Agir sur l’espace public sans accord officiel va à l’encontre des modes de gestion classiques de la ville contemporaine. C’est pour cela que tous les spots DIY ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête en permanence. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils sont souvent construits dans les interstices des villes ou en périphérie. Les bassins de rétention d’eau, les piscines abandonnées, l’espace en dessous des ponts ou les friches industrielles sont souvent investis, car il est possible d’y pratiquer et surtout d’y bricoler sans être dérangé. La marge et les non-lieux sont toujours un abri naturel pour les personnes qui contestent les normes.

Pour être plus précis, ces espaces sont différemment acceptés par les municipalités. À l’image des friches si bien analysées par Charles Ambrosino et Lauren Andres, les spots DIY « obligent les autorités locales à se poser la question du rôle des espaces indéterminés dans l’édification de la ville contemporaine et surtout du positionnement à adopter » (2008, p. 45). Mes recherches montrent que ce dernier peut être de trois ordres : détruire, fermer les yeux ou valoriser.

Certaines municipalités ou propriétaires associent le DIY dans les sports de rue à une forme de squat. Ils mettent le plus souvent en avant son caractère illégal ou les enjeux de sécurité pour justifier les destructions. C’est pour cette raison que les riders cherchent le plus souvent à rester le plus discrets possible, à limiter les nuisances pour ne pas accélérer le processus. Cependant, la destruction n’est pas l’unique réponse des autorités. Certains spots DIY survivent plusieurs années. Cette longévité s’explique parfois parce que les propriétaires ou les municipalités ne connaissent pas l’existence de ces derniers. Le choix du lieu des travaux est donc important. Certains spots sont volontairement situés dans des lieux difficiles à trouver, dont les entrées sont même parfois dissimulées. La longévité des spots DIY dépend aussi de la capacité des autorités à fermer les yeux et à tolérer une petite part de désordre. En fait, les actions de ces riders bricoleurs dérangent peu quand ils s’approprient les espaces oubliés comme les dessous de ponts et les bassins de rétention d’eau. Dans ce cas, les spots DIY peuvent bénéficier, à plus ou moins long terme, d’un temps de veille pendant lequel cette appropriation est acceptée officieusement. La troisième et dernière situation est l’acceptation officielle. Cette dernière est encore peu fréquente en France, mais certaines municipalités commencent à utiliser les sports de rue comme un outil de stimulation urbaine et les spots DIY peuvent y participer. Cette position compréhensive s’explique différemment en fonction des contextes locaux. Elle peut provenir de la volonté de proposer un espace de pratique à moindres frais, de se différencier des municipalités voisines dans un contexte de marketing territorial ou d’afficher sa volonté de soutenir les projets participatifs et collaboratifs, etc.

Comme les friches industrielles, les spots DIY sont des territoires témoins où la tension entre productions informelles et productions planifiées de l’espace est à son comble. Les villes qui se rationalisent et qui sont pensées seulement par le haut ont tendance à proposer des équipements sportifs ultra normalisés et « prêts à l’emploi ». Les skateparks publics en sont un exemple parmi d’autres, mais ils sont symptomatiques d’une incompréhension. Tous les pratiquants ne s’y épanouissent pas toujours, et c’est notamment le cas de ceux qui souhaitent s’approprier un espace pour ensuite pouvoir le bricoler au quotidien. Ces riders cherchent des espaces malléables pour pouvoir les qualifier, les requalifier ou les surqualifier concrètement et symboliquement.


Bibliographie :

AMBROSINO C., ANDRES L., « Friches en ville : du temps de veille aux politiques de l’espace », Espaces et Sociétés, n° 134, 2008, 37-51.

LALLEMENT M., L’Âge du faire. Hacking, travail, anarchie, Seuil, 2015.

RIFFAUD T., L’Espace public artisanal, Elya éditions, 2021.

 


[1] Mot anglais désignant les pratiquants de sports extrêmes tels que le skateboard, le roller, le BMX…

[2] Espace de pratique autoconstruit ou autobricolé.

[3]Interview de Pontus Alv dans le magazine en ligne kingpinmag.com, 29 octobre 2013.


© Thomas Riffaud

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