L’événementiel sportif, vecteur d’attractivité pour les territoires : du Marathon de Paris aux courses « aventure » et festives

L’événementiel sportif, vecteur d’attractivité pour les territoires : du Marathon de Paris aux courses « aventure » et festives

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Professeur émérite Sociologue du sport, des loisirs et du tourisme, membre de l’UMR TREE, Université de Pau et des Pays de l’Adour

En quoi un événement sportif peut-il participer au développement d’un territoire ? Les espaces urbains, ruraux et naturels sont de plus en plus découverts et vécus par le prisme des loisirs sportifs, notamment des « événements sportifs participatifs » (marathons, trails, courses cyclistes…). Ils contribuent au développement local, au renforcement de l’identité territoriale voire à « redonner du sens » à des territoires en déshérence.

Les marathons organisés dans les grandes capitales européennes (Londres, Madrid, Paris…) exercent un impact toujours plus grand aujourd’hui, aussi bien du côté des participants que du côté des territoires concernés. Un premier facteur explicatif bien connu repose sur l’engouement renouvelé pour la course à pied, favorisé par des modalités d’engagement à géométrie variable et les bénéfices symboliques retirés [1]. Le second est à rechercher du côté de la production de symboles territoriaux [2] associée au besoin d’intensifier l’ambiance urbaine [3]. Un dernier facteur s’observe dans la construction de nouvelles territorialités sportives [4] liée au double enjeu de développement et d’attractivité que représentent, pour les villes organisatrices, ces événements.

En effet, en dépit de leurs caractères éphémères et banals [5], les marathons progressent ces dernières années en nombre de villes organisatrices mais aussi en nombre d’inscrits à ces courses participatives qui drainent des milliers de coureurs (60 000 inscrits et 51 100 arrivants au Marathon de Paris 2023).

Ce développement fulgurant des marathons marque l’avènement d’une nouvelle génération de manifestations sportives de masse, aussi appelées « événements sportifs participatifs ». Longtemps restées dans l’ombre des « événements sportifs sélectifs » réservés à l’élite sportive et organisés sous l’égide du mouvement olympique ou des fédérations nationales et internationales, ces épreuves se développent dans de nombreuses disciplines (course à pied sur route, trail, cyclotourisme, ski de fond…), ainsi que dans des environnements (urbain, rural, littoral, montagne…) et sur des territoires très divers.

Un tel phénomène de société nécessite un changement d’approche qui oblige à sortir du périmètre sportif mais aussi à ne pas se limiter aux retombées économiques et politiques. À ce titre, et en tant qu’événements emblématiques, les marathons doivent être interprétés aujourd’hui au travers d’un prisme beaucoup plus large qui est celui de la « ressource territoriale » [6]. La question est alors de savoir comment ils contribuent au développement global des territoires sur lesquels ils sont implantés grâce au jeu convergent des acteurs responsables, en interaction avec les partenaires et les médias impliqués. La nouveauté est que ces événements sont devenus structurants et développeurs des territoires sur lesquels ils sont implantés.

Cette nouvelle approche territoriale s’impose par l’ouverture au plus grand nombre de ces épreuves réservées il y a peu de temps encore aux athlètes confirmés, mais aussi par le tracé au coeur des hauts lieux patrimoniaux qui favorise une itinérance culturelle à la découverte des villes concernées. La mobilité des coureurs versus l’immobilité du patrimoine permet l’immersion des participants dans ce qui peut être considéré comme une scène urbaine facilitant de multiples interactions entre coureurs et entre coureurs et spectateurs. Tout cela débouche sur la sublimation d’une véritable expérience sportivo- touristique à travers la mise en spectacle de soi-même et sur la construction d’une urbanité événementielle qui permet le rayonnement culturel de la ville à l’international. C’est particulièrement vrai pour les grandes capitales européennes qui obéissent à un processus singulier de différenciation mettant en exergue identité et culture locales.

 

Le Marathon de Paris comme vecteur de rayonnement culturel d’une capitale

 

Affublé de tous les superlatifs et notamment de celui « de plus beau marathon du monde », car couru dans « la plus belle ville du monde », le Marathon de Paris est un laboratoire d’analyse particulièrement intéressant pour comprendre le rôle joué par cet événement dans le renforcement du rayonnement culturel de la capitale à l’international afin d’améliorer son attractivité. Il servira ici d’exemple démonstratif des ressorts mobilisés par un événement de rayonnement mondial pour produire, sous des formes plurielles et symboliques, de l’urbanité événementielle à forte valeur touristique.

L’organisation d’un marathon dans une ville, a fortiori dans une capitale comme Paris, s’apparente à une « dramaturgie moderne » qui s’inscrit dans une nouvelle figure de la spatialité où la société urbaine se donne à voir [7]. Elle peut être ainsi considérée comme une animation sociale de l’espace public, générant une fréquentation importante des lieux en matière de flux, qui contribue à mettre en valeur le territoire urbain concerné et à construire de la « centralité » [8]. À ce propos, le caractère itinérant et la durée relativement longue de l’événementiel « marathon » fabriquent une dimension plus qualitative de la « centralité » en augmentant le potentiel d’interactions entre les participants, d’une part, et entre les participants et les spectateurs, d’autre part. Ce type d’animation s’inscrit dans la requalification des villes historiques dont la centralité urbaine est questionnée par des polarités périphériques.

Cette centralité qualitative s’inscrit dans l’exigence d’affirmation identitaire des espaces urbains et la montée du besoin de manifestations fusionnelles, observable chez nos contemporains à la recherche d’espaces-temps toujours plus récréatifs, conviviaux et expérientiels. Les marathons travaillent ainsi l’image d’une urbanité intense qui contribue à sublimer l’ambiance urbaine en lien avec les relations sociales tissées sur le moment et l’immersion prolongée dans le patrimoine. Ils participent, dans cette logique, aux nouvelles formes de l’organisation urbaine, de l’altérité et de l’invention de soi.

 

Une histoire qui a façonné l’attractivité de l’épreuve

 

D’abord couru dans l’indifférence générale des allées du bois de Boulogne, le Marathon de Paris fait évoluer son concept en proposant un parcours qui rentre dans la capitale en 1979 et traverse les différents quartiers parisiens, mais avec un tracé ne favorisant pas la rapidité car empruntant les rues des différents arrondissements parisiens. Puis, au milieu des années 1980, le Marathon est pensé pour être couru plus rapidement. La configuration d’un parcours associant culturalité et performativité est finalisée au début des années 1990 et n’évoluera qu’à la marge jusqu’à aujourd’hui, lui assurant une aura internationale et une progression constante des coureurs.

Le succès exponentiel du Marathon de Paris (126 arrivants en 1976, 9 110 en 1990 et 51 100 en 2023) s’explique par la conjugaison de deux objectifs que se sont fixés avec de plus en plus de force les différents organisateurs : attirer l’élite internationale en favorisant une course rapide (organisation, parcours, lièvre…) et offrir à la masse une scène urbaine magnifique à travers un parcours animé qui investit les hauts lieux patrimoniaux de la capitale. In fine, le Marathon de Paris propose de réaliser un rêve éveillé au regard de la splendeur de l’écrin patrimonial qui le supporte, de l’ambiance qu’il propose et des conditions de course favorables à toutes les formes d’engagement (de la plus performative à la plus hédoniste). Il devient alors incontournable pour de nombreux coureurs qui viennent y chercher un sublime graal : courir 42,795 km dans la plus belle ville du monde.

À l’échelle d’une métropole régionale, les évolutions du parcours du Marathon de Toulouse illustrent la dichotomie sportivo-culturelle de l’ambition portée par ces événements participatifs. Répondant d’abord au « confort » des participants et aux exigences de performance à sa création en 2007 en s’étendant sur une demi-douzaine de communes, il est recentré à partir de 2016 sur la seule commune-centre de la métropole pour mettre en scène la « Ville rose » et promouvoir la « destination » touristique toulousaine dans le concert des villes millionnaires de province.

Le Marathon de Paris, lui, s’inscrit principalement en cohérence avec la ville globale et interculturelle qu’est Paris, car il porte un récit culturel marqué par la construction d’une urbanité événementielle principalement structurée autour des dimensions patrimoniale, hédoniste et conviviale. La dimension cosmopolite et symbolique du Marathon liée au caractère multiculturel des participants convoque le monde dans la ville et contribue à son rayonnement culturel à l’international.

 

Des « événements sportifs participatifs » pour répondre à la quête de sens des territoires

 

Si la dimension culturelle et patrimoniale est primordiale pour l’événement parisien, ce qui ne se démentira pas avec le tracé du futur « Marathon pour tous » des Jeux olympiques de Paris 2024, les épreuves dédiées au grand public peuvent jouer sur de nombreux ressorts pour contribuer à la construction d’une identité propre à chaque territoire et façonner son attractivité. À leur échelle, tous les territoires ont la capacité de mobiliser ces richesses territoriales pour se mettre en scène et se construire un produit d’appel, bien souvent touristique, à leur mesure, et qui favorise leur développement.

La théâtralisation du Paris fantasmé dans le cadre de son marathon pour une cible internationale est le symbole d’une capitale qui veut se démarquer dans le cercle fermé des « villes-mondes ». Par rapport à ses homologues, elle joue sur son panel culturel et patrimonial d’une rare richesse pour construire l’expérience proposée aux participants et en faire la clé de voûte de sa stratégie de différenciation. Il s’agit ici, pour l’événement parisien comme pour beaucoup de manifestations sportives participatives, de proposer une singularité, de l’inédit, de l’innovation dans le concept et le storytelling entourant l’épreuve. Cela s’inscrit dans une quête perpétuelle de renouvellement des « imaginaires » pour attirer des participants et, demain, des touristes, des habitants ou des entreprises. Si la mise en scène de la « Ville Lumière » est l’élément de différenciation dans le cas parisien, bien d’autres concepts peuvent contribuer à façonner une expérience originale pour attirer les sportifs à toutes les échelles.

Le développement des Gran Fondo [9] (vélo) ou des trails (courses à pied de pleine nature) marque l’essor d’une appétence renouvelée pour « l’aventure » et les défis extrêmes. L’Ultra-Trail du Mont-Blanc [10] (Haute-Savoie) dans un événement de dimension internationale, l’Endurance Trail des Templiers (Aveyron) ou encore le Grand Raid de La Réunion qui fait figure de pionnier sur ce segment déploient leur parcours sur des distances de plus de 100 kilomètres, avec une promesse d’accomplissement personnel en proposant à chacun de tutoyer ses limites physiques ou psychologiques.

Ces événements, dont le caractère « aventureux » est largement rappelé par la communication des organisateurs, associent également une proposition d’immersion dans un écrin naturel en mettant en avant le patrimoine paysager et environnemental exceptionnel dans lequel ces épreuves se déroulent (massif du Mont-Blanc, Causses et montagne tropicale pour les exemples cités). Dans le cadre de la cyclosportive de l’Ariégeoise, c’est la promesse d’un parcours « sans urbanisation » dans un territoire rural et montagnard reprenant les codes de la communication touristique départementale qui façonne le concept, en misant sur la volonté de « mise au vert » des participants. Elle met aussi en exergue la première préoccupation des territoires qui est l’allongement de la durée des séjours des participants pour augmenter les retombées.

En jouant sur le caractère hédoniste de l’épreuve, le positionnement festif est un autre exemple de levier d’attractivité pour les épreuves participatives. Le Marathon du Médoc [11] développe son savoir-faire depuis près de 40 ans pour l’organisation d’une course qui valorise l’expérience, si possible collective, autant que la performance sportive, en misant sur une animation riche et une valorisation des productions viticoles locales. En favorisant la création de souvenirs et en jouant sur l’intensification du moment vécu, il permet également la mise en récit du territoire au travers des souvenirs et de la narration de l’expérience une fois les marathoniens revenus chez eux. Au sein du bassin toulousain, le Trail du Vignoble Gaillacois, issu d’une collaboration entre la ville de Gaillac, la Maison des Vins et l’association de running locale, s’appuie depuis quelques années sur les mêmes leviers.

Comme pour l’épreuve médocaine, il permet de souligner l’importance de la gouvernance associée à ces événements pour créer des synergies entre les acteurs du territoire, qu’ils proviennent des sphères politico-administrative, économique, associative, ou des populations locales (importance primordiale du bénévolat). En effet, en plus de s’appuyer sur les ressources matérielles, c’est à travers la mobilisation de toutes ces composantes de la société autour des manifestations participatives que la captation de « valeur » (dépenses, nuitées…) et, plus encore, la construction d’une « ressource territoriale » pourront être effectives.

En outre, cette liste de concepts, loin d’être exhaustive, témoigne de la variété des facteurs de différenciation et des ressorts marketing que peuvent mobiliser les événements pour attirer des participants, valoriser les atouts d’un territoire, et les faire connaître à une échelle bien plus large. Aussi, de la « ville-monde » aux territoires les plus ruraux, ils sont des leviers importants pour la construction d’une identité locale et contribuent à répondre à la quête de sens des territoires, préalable indispensable et moteur de toute stratégie d’attractivité.


[1]BESSY O., Le Marathon du Médoc, 10 ans de fête, imprimerie Delteil, 1994 ; BESSY O., « Marathons, trails, raids et développement territorial », Espaces Tourisme & Loisirs, n° 287, 2010, p. 10-19 ; BESSY O. et LAPEYRONIE B., « Culture des loisirs et diffusion sociale du sport. L’exemple des marathoniens », Sciences et Motricité, n° 68, 2009, p. 83-95.

[2]DI MÉO G., Géographie sociale et territoires, Nathan, « Fac géographie », 1998.

[3]CASTELLS M., La Question urbaine, Maspéro, 1973 ; PRADEL B., « La production d’une urbanité événementielle : entre stimulation et normalisation du vivre-ensemble dans les espaces publics », in Tourisme et événementiel. Enjeux territoriaux et stratégies d’acteurs, Presses de l’Université du Québec, 2017, p. 91-105.

[4]AUGUSTIN J.-P., « Les nouvelle spatialités du sport dans la ville : l’exemple de Bordeaux », in Les Nouvelles Territorialités du sport dans la ville, Presses de l’Université du Québec, 2013, p. 15-31 ; LEFEBVRE S. et ROULT R., « Les nouvelles territorialités sportives dans la ville. Le sport comme élément d’affirmation identitaire des espaces urbain », in Les Nouvelles Territorialités du sport dans la ville, Presses de l’Université du Québec, 2013, p. 1-11.

[5] On peut constater une faible « héroïsation » des marathoniens explicable par la modestie de la littérature, de la filmographie et du nombre de champions connus en lien avec leur turnover.

[6]Hervé GUMUCHIAN et Bernard PECQUEUR définissent la ressource territoriale comme « une caractéristique construite d’un territoire spécifique et ce dans une optique de développement » in La Ressource territoriale, Economica, 2007.

[7]ASCHER F., « Du vivre en juste temps au chrono-urbanisme », Les Annales de la Recherche Urbaine, n° 77, 1997, p. 113-123.

[8]DEVISME L., La Ville décentrée. Figures centrales à l’épreuve des dynamiques urbaines, L’Harmattan, 2005.

[9]Terme italien désignant les épreuves de vélo sur route de longue distance et ouvertes au grand public.

[10]BESSY O., « The North Face Ultra-trail du Mont-Blanc : un outil de développement territorial pour l’Espace Mont-Blanc », Espaces Tourisme & Loisirs, n° 288, 2011, p. 19-39.

[11]BESSY O., « Le marathon du Médoc : un événement sportif au cœur du développement local », Les Cahiers Espaces, n° 66, « Loisirs sportifs, nouvelles pratiques, nouveau enjeux », 2000, p. 77-91.


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