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Pierre-Olivier BESSOL,
Vice-président de l’IoT Valley
Propos recueillis par Florence MIZZI,
Responsable Prospective et Futurs Urbains à l’aua/T
IoT Valley est un modèle de développement économique dans le domaine de l’Internet des objets, dont les fondements sont la proximité physique et la capacité à faire évoluer de manière concomitante environnement économique et espaces de travail. L’IoT Valley prend place dans la dynamique d’un territoire à l’est de l’agglomération toulousaine. Anciennement Labège Innopole, site novateur à l’époque de sa création au début des années 1980, le secteur désormais baptisé « Enova Labège-Toulouse », fait l’objet d’une grande opération urbaine qui vise à développer de nouveaux quartiers économiques, commerciaux et résidentiels.
De quelle histoire est née l’IoT Valley ?
C’est une histoire assez banale, celle de quelques startups qui, à la fin des années 2000, se sont retrouvées dans un incubateur à Labège et qui ont décidé de poursuivre l’aventure ensemble en se regroupant dans un même bâtiment pour partager quelques services et se sentir moins isolées. Il y a eu ensuite une prise de conscience du caractère spécifique et novateur du domaine d’activité qu’elles avaient commun : l’Internet des objets. De là est née la conviction qu’il fallait en faire un focus, se spécialiser. Nul besoin de se délocaliser dans une « métropole monde » pour se développer : une dynamique pouvait être créée localement, générer de l’attractivité et amener les clients. Aujourd’hui, le pari est réussi : un véritable écosystème vit à Labège autour de l’IoT et des start-up d’origine, dont Sigfox désormais en position de leader mondial. C’est une aventure portée par des entrepreneurs pour des entrepreneurs, à laquelle les collectivités (la communauté d’agglomération du Sicoval, la Région Occitanie) ont aussi cru et apporté leur soutien.
Construire un modèle de développement sur l’ancrage territorial et la proximité physique n’est-il pas paradoxal pour des entreprises à la pointe des outils numériques et du monde dématérialisé ?
Contrairement au numérique pur, les technologies de l’IoT ouvrent des capacités de représentation du monde physique et rétablissent un lien entre le monde physique et le monde numérique… L’attachement au territoire, à la proximité, n’est donc peut-être pas un hasard !
Il y a surtout une raison « objective » que nous avons expérimentée et fait progresser. Le choix de se localiser au même endroit, principe fondateur, fut propice au développement économique de chacun. Nos entreprises se sont ainsi développées en partageant l’expérience des autres, mais aussi grâce à l’opportunité d’échanges non planifiés, non organisés, non anticipés. Des échanges faits de rencontres informelles qui ne peuvent pas se produire quand on est derrière un ordinateur et que seul le partage de locaux permet – des locaux que nous avions restructurés pour augmenter les espaces collectifs et favoriser les flux. Ce qui va devenir un véritable écosystème a été conforté au fil du temps, toujours dans l’idée de grandir ensemble. Par la création, tout d’abord, d’un accélérateur dans lequel des start-up d’une certaine maturité bénéficient des retours d’expériences des plus anciennes et apportent leurs idées innovantes. Par l’intégration, ensuite, de services R&D de grands groupes qui viennent quelque temps à l’IoT Valley en « immersion » aux côtés des start-up capables de les aider à intégrer dans leur business model des innovations dont la base est l’Internet des objets : une opportunité pour ces dernières de développer des projets adossés à de « vrais » marchés et un rapprochement qui donne à l’écosystème une assise financière, assurant 70 % à 80 % de son financement de fonctionnement. Par une dernière brique, enfin : l’accueil d’écoles qui viennent implanter leur promotion au sein même de l’écosystème.
Pensez-vous que votre expérience marque une rupture au regard des modèles classiques de développement économique ?
Oui, il y a une forme de rupture dans les ingrédients qui génèrent de l’innovation économique autour du projet IoT tels que je les ai décrits plus haut. L’actuelle « petite vallée » pensée comme un véritable lieu de vie développe une intelligence de projet qui sait grandir par étapes et faire évoluer de manière concomitante son environnement économique et ses espaces de travail.
Nous sommes à la veille d’un projet immobilier qui sortira de terre en 2019 dont l’écosystème actuel constitue le living lab ; il en structure le cahier des charges.
Dans ce futur programme, il ne s’agit plus d’adapter un bâtiment, mais de concevoir un projet autour de la place faite aux espaces collectifs, aux espaces déstructurés, adaptés à des usages évolutifs, et qui favorisent les flux de circulation. Un projet qui va aussi développer les services proposés (hébergement temporaire, salles de sport, espaces récréatifs et de loisirs…) pour favoriser la vie en commun, répondre à des modes d’organisation du travail différents (horaires décalés…) et permettre aux occupants de rester sur place, concentrés autour de cet écosystème. La technologie IoT y aura sa place – à sa juste nécessité. L’intégration d’objets connectés permettra une meilleure maîtrise et une utilisation fluide des espaces : connaître les places disponibles en salle de sieste, trouver un lieu de réunion…
Ce modèle, physiquement très intégré, pourrait se développer dans d’autres secteurs économiques. De telles expériences existent aux US, dans la Silicon Valley par exemple, mais ici nous allons au-delà en réduisant plus encore les espaces privés dédiés et en poussant au maximum la mixité – Sigfox par exemple restera au milieu de nous tous, dans le même bâtiment.
Photos © IoT Valley