L’urbanisme face au vieillissement de la population

L’urbanisme face au vieillissement de la population

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Rebecca DUROLLET
Assistante-doctorante au département de géographie et environnement
Université de Genève

Qualité et accessibilité des espaces publics pour tous

 

Les deux tendances mondiales que sont le vieillissement démographique et l’urbanisation vont, ensemble, fortement marquer le XXIe siècle. » Par cette phrase d’introduction à son Guide mondial des villes-amies des aînés (2007), l’OMS adresse un message à l’ensemble des acteurs de la fabrique urbaine. Aujourd’hui et demain plus encore, la ville doit tenir compte de la proportion de plus en plus grande de sa population âgée, voire très âgée. Cette population, extrêmement hétérogène, se caractérise par une prépondérance des situations de fragilité ou de handicap. Celles-ci peuvent mettre à mal l’accès aux espaces urbains, en particulier à l’espace public.

Or l’un des principaux enjeux socio-spatiaux des personnes âgées semble être l’isolement. En effet, avec l’avancée en âge, on observe fréquemment un rétrécissement des espaces de vie, pouvant aller jusqu’à la restriction au seul logement. Les politiques de maintien à domicile, qui encouragent une vie hors institution le plus longtemps possible, exacerbent cette tendance. Leur cloisonnement au secteur sanitaire limite leur champ d’action à l’échelle du logement. Ce dernier peut être perçu comme une prison si l’environnement extérieur est inhospitalier ou inaccessible. On comprend dès lors qu’en tissant des liens avec l’urbanisme, ces mêmes politiques ont un fort potentiel d’amélioration de la qualité de vie des personnes auxquelles elles s’adressent.

Essentiel à la santé physique, mentale et sociale de tous, l’espace public révèle des inégalités d’accès auxquelles les personnes âgées fragilisées sont particulièrement exposées. Des mesures d’inclusion, encouragées par une évolution de l’appréhension de la situation de handicap dans les politiques publiques, offrent aujourd’hui certaines réponses urbanistiques à cette problématique. On peut néanmoins identifier deux failles majeures : l’inclusion est souvent ponctuelle (rampe d’accès, marquage au sol) et ne considère pas les chaînes de déplacement permettant une accessibilité globale. En outre, elle ne prend pas en compte toutes les situations de fragilité : pour l’heure, elle ignore notamment souvent les troubles cognitifs, qui concernent plus d’un million de personnes en France et 225 000 nouveaux cas par an selon l’association Médéric Alzheimer.

Ces troubles sont marqués par l’absence d’une situation de handicap « visible » et une catégorisation politico-médiatique qui les classe avant tout comme des « cas médicaux » qu’il faut prendre en charge. Les personnes qui en sont atteintes sont dès lors des grandes oubliées de l’aménagement urbain « pour tous ». Elles font pourtant face à des problématiques spatiales récurrentes : la maladie d’Alzheimer et celles apparentées entraînent notamment des situations d’égarement, de déambulation et de vulnérabilité face à la surstimulation urbaine. La qualité de l’environnement peut pourtant contribuer à limiter ces situations répétées qui aggravent les symptômes de la maladie.

Six critères d’un espace public encourageant la vie à domicile des personnes âgées vulnérables ont été identifiés par deux chercheuses britanniques : familiarité, lisibilité, caractère distinctif, accessibilité, confort et sécurité. Concrètement, l’urbanisme possède donc des clés pour limiter les risques d’isolement (et les problématiques qui l’accompagnent, en particulier des troubles mentaux), en préservant les repères lors de réaménagements conséquents, en simplifiant la navigation dans l’espace par une signalisation claire, en clarifiant la vocation de chaque espace et en valorisant des identités locales, en assurant des services de proximité utiles au quotidien, en facilitant l’usage de l’espace public par des commodités telles que des bancs, en privilégiant les zones sans voitures et en prolongeant la durée des feux piétonniers.

Somme toute, ces critères s’inscrivent dans les principes de l’urbanisme occidental contemporain et répondent aux besoins d’une large partie de la population. Cependant, en rendant visibles les problématiques d’une population particulièrement vulnérable à la qualité de son aménagement, l’espace public urbain peut non seulement encourager le lien social et l’autonomie de ses usagers, mais également devenir un outil de santé publique. En décloisonnant les échelles et les secteurs du maintien à domicile, notamment en favorisant les rencontres entre les acteurs du logement et de l’urbanisme et ceux du médico-social 1, le travail sur l’espace public est plus qu’une politique de prise en charge ambulatoire : il devient une pratique du « prendre soin » à laquelle les acteurs de la fabrique urbaine peuvent activement prendre part.


Bibliographie :

Argoud D., 2014, « Les nouvelles formes d’habitat pour personnes âgées : approche socio-historique d’une innovation » in Nowik L., Thalineau A. (dirs.), Vieillir chez soi. Les nouvelles formes du maintien à domicile, Presses Universitaires de Rennes

Blackman T., Mitchell L., Burton E., Jenks M., Parsons M., Raman S., Williams K., 2003, « The Accessibility of Public Spaces for People with Dementia : A new priority for the “ open city “ », Disability & Society, vol. 18, n° 3, p. 357-371

Brorsson A., Öhman A., Lundberg S., Nygard L., 2011, « Accessibility in public space as perceived by people with Alzheimer’s disease », Dementia, vol. 10, n°4, p. 587-602

Burton E., Mitchell L., 2006, Inclusive urban design. Streets for life, Routledge, London and New York

Duggan S., Blackman T., Martyr A., Van Schaik P., 2008, « The impact of early dementia on outdoor life : A “shrinking world” ? », Dementia, vol. 7, n° 2, p. 191-204

Mitchell L., Burton E., Raman S., Blackman T., Jenks M., Williams K., 2003, « Making the outside world dementia-friendly : design issues and considerations », Environment and Planning B : Planning and Design, n° 30, p. 605-632

 

 

  1. ARGOUD D., « Les nouvelles formes d’habitat pour personnes âgées : approche socio-historique d’une innovation » in NOWIK L., THALINEAU A. (dirs.), Vieillir chez soi. Les nouvelles formes du maintien à domicile, Presses Universitaires de Rennes, 2014.

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