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Geneviève BRETAGNE
Responsable Transition écologique, AUAT
L’approvisionnement des restaurants collectifs en légumes et fruits frais est un véritable défi : fréquence des livraisons, volumes et calibrages des produits, calendriers scolaires inadaptés à la temporalité de la production… Encore peu répandue en France, la régie agricole municipale a ainsi comme objectif premier de garantir aux crèches et cantines scolaires, en qualité et en volume, des produits à la fois bio et locaux.
Quand la collectivité devient exploitante
Véritable pionnière, la régie agricole de Toulouse a été créée en 1975 pour entretenir les parcelles agricoles de la ville, ainsi qu’une partie de ses réserves foncières. Actuellement, plus de 250 hectares sont exploités en grandes cultures (blé, orge, soja, sorgho…) et en prairies. Ces champs, ainsi que 100 hectares de réserves foncières et d’espaces de compensation écologique cultivés ou entretenus, sont situés sur l’ensemble de la commune où ils enrichissent la biodiversité et le paysage.
Les débouchés de proximité sont favorisés, tels que la cuisine centrale de Toulouse. Depuis 2015, l’ensemble du domaine et de ses productions est certifié en Agriculture Biologique, ce qui en fait l’un des plus grands d’Occitanie. La régie exploite également en bio un vignoble et héberge un verger de pommes, kiwis et raisins de table, sur 25 hectares au total. Ils se trouvent au siège du domaine à Candie qui s’étend sur 32 hectares comprenant également les bâtiments de l’exploitation agricole ainsi qu’un parc associé au château du XIIIe siècle, inscrit au titre des monuments historiques et qui abrite le chai. Le domaine existe depuis près de 800 ans et la Ville de Toulouse le renouvelle constamment. En lien avec le projet agricole et alimentaire métropolitain (PAAM), il évolue désormais vers une diversification de ses cultures et de produits en circuits courts et de proximité, dans un objectif de transition agroécologique. Il prépare d’ici 2024 une ouverture plus large du siège à Candie, marqueur sud du futur Grand Parc Margelle.
À la suite de Toulouse, et parfois de façon plus visible, plusieurs collectivités se sont lancées dans l’aventure. Créée en 2009, la régie agricole de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) illustre nombre de propos sur le sujet. Les communes de Firminy (Loire), Vannes (Morbihan), Saran (Loiret), Ungersheim (Haut-Rhin), Cussac-Fort-Médoc (Gironde) et d’autres ont suivi cette démarche depuis les années 2010. Aux côtés de la régie agricole municipale, cinq projets pilotes sont également stimulés et accompagnés par Toulouse Métropole à travers son PAAM. Initiés pour certains dès 2012, ils représentent aujourd’hui 371 hectares de terres agricoles protégées, où travaillent 13 maraîchers installés ou pérennisés. Il s’agit de la valorisation du secteur maraîcher des Quinze-Sols à Blagnac, de la création d’un parc agricole et naturel de 220 ha sur la commune de Pin-Balma, de la préservation d’une centralité maraîchère au coeur de l’opération de renouvellement urbain du quartier des Izards-Trois- Cocus, à Toulouse, de la réhabilitation d’une ferme agro-écologique à vocation économique et socioéducative, sur la commune de Quint-Fonsegrives, et enfin de la relocalisation d’une activité de maraîchage biologique, portée par la commune de Fenouillet.
Agriculture et alimentation au coeur des initiatives locales
Lauréat du Programme national pour l’alimentation en 2018, et s’inscrivant dans le plan d’actions du plan climat-air-énergie territorial (PCAET) de la métropole, le projet agricole et alimentaire métropolitain engage la collectivité sur des actions en faveur du maintien et du développement d’une agriculture de proximité. Au-delà de la préservation du foncier agricole, de l’accompagnement de projets, de l’approvisionnement de restaurations collectives ou encore de la structuration de filières, le sujet de la résilience alimentaire est également posé à l’échelle des quartiers avec la démarche « Quartiers fertiles » de l’ANRU, comme dans la construction de coopérations avec les territoires ruraux voisins. La métropole n’est pas seule à s’impliquer. Le PPAM est élaboré de manière concertée, rapprochant producteurs, transformateurs, distributeurs, collectivités territoriales et consommateurs. Il figure parmi les plus de 370 projets alimentaires territoriaux reconnus par le ministère au 1er avril 2022. Ces initiatives collectives jouent un rôle essentiel pour accélérer la transition agricole et alimentaire, en donnant un cadre stratégique et opérationnel pour structurer l’économie agricole locale et mettre en oeuvre un système alimentaire territorial.
Des démarches collaboratives qui visent l’innovation
C’est bien la recherche d’innovation, et finalement de sens de l’action publique, qui invite progressivement les collectivités à construire de véritables stratégies foncières agricoles et territoriales, stimulées par les États généraux de l’alimentation lancés en 2017. Leurs objectifs, repris par la loi EGalim [1], incitent à retrouver un processus de création de valeur agricole, afin de permettre aux agriculteurs de vivre correctement de leur travail, mais aussi à accompagner l’évolution des modèles de production en réponse aux attentes des consommateurs en matière d’alimentation saine, sûre et durable. Pour ce faire, les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont ainsi de véritables opportunités pour mettre à l’honneur les initiatives locales et structurer l’approvisionnement local en circuits de proximité. Désireuses de s’inscrire dans la dynamique de transition écologique et sociale de l’agriculture, en accompagnant différemment les porteurs de projets et en imaginant de nouvelles collaborations, les collectivités s’appuient sur de nouveaux tiers de confiance et opérationnels. La coopérative « Le Labo du Centième Singe » par exemple est un de ces tiers-lieux agroécologiques qui propose ainsi des formes de travail et de projets innovantes autour de la production agricole et de l’alimentation. Sur le sujet du foncier, crucial s’il en est, le mouvement Terre de Liens collabore pour sa part depuis plusieurs années avec les collectivités attentives à préserver leur foncier agricole au profit d’exploitations respectueuses de l’environnement. Il s’inscrit en complémentarité des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER), partenaires historiques des collectivités dans la mise en oeuvre de leurs politiques foncières et de leurs projets d’aménagement.
De nouveaux rôles pour les collectivités
Longtemps affaire des seuls agriculteurs, la question agricole s’est ainsi ouverte à des acteurs territoriaux aussi divers que des entreprises agricoles et agroalimentaires, des artisans, des consommateurs citoyens ou encore les collectivités. Celles-ci y trouvent l’opportunité de nouveaux rôles à jouer, en soutenant les initiatives agricoles, par l’attribution de moyens humains et financiers plus ou moins importants. Facilitatrices dans la mise en place du projet (accompagnement administratif, expertise, mise en réseau), elles peuvent également s’engager plus directement via le portage de l’investissement nécessaire, ou la mise à disposition de foncier ou de bâtiments pour lancer ou pérenniser une activité. Leurs objectifs sont multiples : répondre à une demande croissante des citoyens pour des aliments de qualité et de proximité, maintenir et diversifier des exploitations sur leur territoire ou éviter la désertification rurale et toutes ses conséquences en matière de déqualification paysagère et d’extension urbaine. Conscientes de la nécessaire transition agricole à l’oeuvre face au changement climatique et à ses effets sur la biodiversité et la ressource en eau, les collectivités s’impliquent, accompagnent, initient ou encore expérimentent pour conserver une agriculture innovante et dynamique, étroitement interreliée à leurs politiques publiques territoriales en matière d’environnement, d’alimentation, de climat, de santé, de gestion de la ressource en eau et bien sûr de développement économique. Cette transversalité est complexe à assurer. Les démarches, quelles qu’elles soient, se doivent d’être ancrées localement. Elles sont par essence multipartenariales, légitimant ainsi les collectivités à porter les questions agricoles et alimentaires et propices à susciter de l’innovation. L’alimentation est un sujet fédérateur, qui a la capacité de réunir autour des mêmes enjeux des acteurs aux préoccupations et aux objectifs a priori dissemblables, si ce n’est opposés. Encore faut-il ouvrir assez largement le partage des diagnostics et des stratégies, et animer la dynamique sur le temps long pour que l’action publique soit véritablement source de synergies positives sur les territoires.
[1] Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, 2018.