Les chemins comme support de recomposition urbaine

Les chemins comme support de recomposition urbaine

Téléchargez l’article au format PDF


Maître de conférences en sciences de l’homme et de la société pour l’architecture Membre du LRA, ENSA Toulouse

Ingénieure-paysagiste, Maître de conférences associée en ville et territoires, Membre du LRA, ENSA Toulouse

Architecte-urbaniste, Maître de conférences en ville et territoires, Membre du LRA, ENSA Toulouse

Depuis quelques années, les chemins ruraux de la métropole toulousaine sont réinvestis, devenant des espaces très fréquentés pour les loisirs et les trajets utilitaires à vélo. Supports de déplacement et nouveaux marqueurs identitaires territoriaux, ils participent à la recomposition de l’échelle locale. C’est ce que démontre le travail de l’équipe toulousaine du programme national de recherche-action POPSU Métropoles Toulouse.

À la fin du XIXe siècle, les communes de Brax, Léguevin et Pibrac font partie d’un territoire riche, sur la terrasse intermédiaire de la Garonne traversée par l’Aussonnelle et son affluent le Courbet, juste avant les coteaux du Gers. Les chemins ruraux organisent une trame isotrope du territoire entre villages, exploitations, bâtiments agricoles. À cette époque, le temps de déplacement est celui du chemin, parcouru le plus souvent à pied, dimensionné au plus près des sites. Seules les voies d’accès vers la ville centre, entre Toulouse et Auch, sont calibrées pour la circulation « rapide ». Au début du XXe, le chemin de fer est construit, empruntant la vallée du Courbet, installant un arrêt dans les villages de Brax et Pibrac. Jusque dans les années 1950, l’urbanisation évolue peu, les boisements du XIXe se raréfient au profit d’espaces d’agricoles plus importants. Le système rural prédomine encore, les tracés existants perdurent, mais le dessin de la maille change ; en s’adaptant à l’utilisation de la voiture, nombre de chemins deviennent des voies roulantes. L’expansion de l’Ouest toulousain démarre dans les années 1970 autour de la ville nouvelle de Colomiers et de l’extension des sites de production de l’aérospatiale qui forment le pôle d’attractivité le plus important de l’agglomération. Dans cette aire d’influence, les villages commencent à s’étendre fortement à partir des bourgs centraux et forment de vastes espaces périurbains, morcelant les terres agricoles. À l’ouest, la forêt domaniale de Bouconne constitue une frontière et un poumon à l’échelle de l’agglomération. La voie rapide en direction d’Auch, mise en service en 2013, devient l’armature principale du déplacement métropolitain vers l’ouest. Les zones commerciales et de services s’installent sur les entrées de ville le long de cet axe. Dans ces espaces paraissant dominés par la voiture, les chemins ruraux se réduisent mais persistent. Depuis quelques années, leurs parcours sont de plus en plus empruntés pour les loisirs mais sont aussi supports de trajets utilitaires [1]. Leurs tracés, prenant la forme par exemple des pistes et des sentiers de promenade, sont redécouverts et réapparaissent dans la toponymie des territoires parcourus. Les vallées de l’Aussonnelle et du Courbet deviennent des espaces très fréquentés, aux usages diversifiés selon les temporalités et les types d’usagers. S’y côtoient des pratiques locales et des pratiques métropolitaines : des habitants qui accèdent aux aménités et aux loisirs de proximité ; des « vélotafeurs » accédant aux sites d’Airbus ; des promeneurs se dirigeant vers la forêt de Bouconne ; des randonneurs qui suivent le chemin de Saint-Jacques en passant par Pibrac… La qualité des parcours est revendiquée par les utilisateurs à l’exemple d’un habitant de Brax se rendant en vélo sur le site d’Airbus, qui considère tout autant l’infrastructure comme support de déplacement et paysage agréable : « Je ne prends pas forcément le trajet le plus court, je prends le plus campagnard. » [2] La demande de plus en plus forte des résidents de pouvoir se déplacer autrement dans leur bassin de proximité amène les collectivités à renforcer, sécuriser ou construire de nouveaux itinéraires comme des pistes cyclables, même si les discontinuités et les dangerosités de certains tronçons constituent des freins importants aux mobilités actives. C’est le cas notamment du franchissement d’une route départementale très empruntée pour accéder au lycée Nelson-Mandela de Pibrac qui dissuade de nombreux parents de laisser leurs enfants prendre le vélo le matin. À l’échelle métropolitaine, les trajectoires cyclables en projet traverseront ce même secteur : une voie faisant partie du futur REV (Réseau Express Vélo) depuis Brax rejoignant la ville-centre ; une voie liant les communes nord de l’agglomération à la forêt de Bouconne. Cette montée en puissance d’un réseau de mobilités actives s’inscrit la plupart du temps dans les traces des anciens réseaux ruraux sillonnant le territoire de Brax et Pibrac, et donne un nouveau statut à la vallée du Courbet. Une nouvelle typologie spatiale, entre infrastructures de mobilité, paysages et espaces publics de nature, émerge progressivement au fil des années sans projet préalable, comme l’ont été « les urbanisations sans urbanisme » du périurbain. Elle s’apparente aux « green infrastructures » [3] permettant à la fois l’installation et le déplacement dans un paysage reconnu comme partie prenante de la ville nature. Le secteur de Brax et Pibrac est emblématique des évolutions qui se jouent aujourd’hui dans de nombreuses franges du périurbain, dans un rapport renforcé entre les zones construites et les espaces ouverts alentour. Les liens locaux mais aussi territoriaux décrivent de nouvelles formes d’usages et de pratiques dans l’espace périurbain. Ces évolutions sont complexes car elles sont confrontées à la fragmentation institutionnelle, l’éclatement des acteurs et des compétences. À cela s’ajoutent les frictions ponctuelles entre usages agricoles et urbains, et plus largement la difficulté de conjuguer stratégies de grand territoire et initiatives locales. La dynamique observée pourrait constituer seulement un palier, difficile à franchir, pour aller vers un système plus intégré, passant de réseaux ruraux aux maillages verts, pouvant insérer des mobilités actives dans des infrastructures de nature.

Emergence de l’infrastructure verte © S. Balti, A. Leger-Smith, A. Péré

Cette dynamique se retrouve pourtant, à différents degrés, dans tous les espaces métropolitains. Depuis de nombreuses années, les métropoles cherchent à ouvrir aux marcheurs et aux cyclistes une façon nouvelle d’en faire partie et de les reconnaître en renouant avec l’espace physique, en créant notamment, à partir des sites et tracés existants, des sentiers métropolitains [4]. De leur côté, les élus des communes périurbaines construisent également des morceaux de voies piétonnes ou cyclables pour accéder aux équipements et aménités locales. Les chemins ruraux, comme structure déjà existante reliant espaces naturels, agricoles et urbains, deviennent un enjeu de proximité et d’appartenance à un paysage particulier. En s’intégrant progressivement dans des réseaux de promenades et de déplacements de plus en plus étendus, ils permettent une recomposition de l’espace local et deviennent des marqueurs identitaires des espaces périurbains. Cela d’autant plus depuis l’épidémie de Covid et leur fréquentation renforcée. Ces connecteurs discrets raccordent également par endroits la ville dense à son territoire agricole et naturel plus large, la métropole aux « autres ». Certes, ce modèle reste sujet à de nombreux freins et complexités insuffisamment abordés dans les politiques publiques comme dans les planifications territoriales. Ainsi, la réactivation (ou la création) de chemins existants est difficilement finançable aux échelles communales mais aussi intercommunales, considérée encore comme un apport complémentaire et non indispensable. Les chemins, comme les ruisseaux, traversent les barrières administratives des communes et les intercommunalités, rendant les continuités d’aménagement et d’entretien complexes. Dans les planifications, il manque sans doute un échelon entre communes et grands territoires qui permettrait d’aborder la proximité d’un bassin de vie. Les intercommunalités, aux périmètres très larges et pas toujours calqués sur les pratiques des habitants, résolvent difficilement ces contraintes, d’autant plus que les compétences en matière de mobilités peuvent être portées par différentes structures. Néanmoins, le potentiel des tracés existants et des continuités géographiques pourrait être majeur. La vie dans l’espace périurbain, qui reste plébiscitée par les habitants malgré les contraintes de déplacement, pourrait devenir plus vertueuse en trouvant de vraies alternatives aux déplacements voitures qui constituent l’essentiel des déplacements de proximité. La réduction forte de l’artificialisation des sols inscrite dans la loi [5] devient une obligation, les trames vertes et bleues du Grenelle de l’environnement s’inscrivent dans la planification mais sont encore rarement des supports de projets entre ville et nature. Les dynamiques en cours pourraient accélérer la venue d’un nouveau modèle d’urbanité périurbaine, qui optimiserait l’espace urbain déjà construit, tout en préservant et renforçant les continuités et les qualités des mobilités actives dans les zones urbanisées et les liens avec les espaces agricoles et naturels alentour. Réseaux de chemins et infrastructures vertes pourraient alors être les supports d’organisation et outils de projets, plus seulement émergents, mais véritablement intégrés dans une vision de l’évolution des modes de vie dans les espaces périurbains.


[1] Brès + Mariolle, « Les figures de l’écomobilité périurbaine entre intermodalité obligée et densité dispersée », IPRAUS SAUsser programme de recherche « La mobilité et le périurbain à l’impératif de la ville durable », PUCA, rapport final, 2011.

[2] Travaux issus du programme POPSU Métropole Toulouse 2019-2021 sur la partie « les nouveaux chemins de la métropole, mobilités actives dans le périurbain toulousain », PÉRÉ A., BALTI S., LEGER-SMITH A., Cahiers POPSU en cours.

[3] LEGER-SMITH A., « Les systèmes territoriaux et paysagers comme médium du développement métropolitain, l’exemple de la “Green Infrastructure” à Bristol au Royaume-Uni », BelvedeЯ n° 5, 2019.

[4] LAVESSIÈRE P.-A., L’Art des sentiers métropolitains, éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2020.

[5] Loi Climat et résilience du 22 août 2021.

Paramètres de confidentialité

Nécessaires

Ces cookies vous permettent de vous connecter tout en assurant une sécurité dans la navigation

wordpress logged_in, wordpress sec

Advertising

Suivi des visites

Afin de vous offrir la meilleure expérience, nous réalisons un audit des visites. Vous pouvez refuser le suivi en cliquant ici.

Outil de suivi des visites Matomo

Other