Entretien avec l’équipe POPSU Exode urbain

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Géographe, cartographe, Université Paris Cité

Chercheuse en économie, Membre du CESAER, INRAE

Enseignante-chercheuse en aménagement et urbanisme, Membre de l’UMR Art-Dev, Université de Perpignan Via Domitia

Ingénieur d’études en géographie, CESAER

Professeure en économie, Membre du CESAER, Institut Agro Dijon

Ingénieur d’études en économie, CESAER

Géographe, Directrice du programme POPSU Territoires

L’étude POPSU "Exode urbain ? Petits flux, grands effets : Les mobilités résidentielles à l’ère (post-) Covid" a permis de lever le voile sur l’impact réel de la pandémie sur les trajectoires résidentielles des Français. Nuançant l’emballement du discours médiatique autour de l’idée d’un exode urbain, des équipes de recherche ont croisé analyses quantitatives et qualitatives pour objectiver les dynamiques à l’oeuvre depuis mars 2020.

Quel a été le déclencheur de votre étude ? S’agissait-il de répondre au mythe de l’exode urbain entretenu par les médias, de l’objectiver ?

Hélène Milet : L’étude a été lancée en juillet 2021 au moment où un discours médiatique se construisait autour de l’exode urbain à force de références dans des reportages et des magazines. Or, en face du discours médiatique, peu de données permettaient de saisir ce qu’il se passait : l’exploitation de données téléphoniques pendant le confinement laissait entendre une fuite des citadins hors des villes, les notaires observaient une hausse des prix et un marché immobilier sous tension, des élus ruraux aussi évoquaient des pénuries d’offres sur leur territoire. L’ampleur du discours autour de l’exode urbain a donc commencé à poser question aux acteurs institutionnels, en particulier au Réseau rural français (RRF) et au Plan Urbanisme Construction Architecture, qui ont confié au programme POPSU Territoires le soin d’ouvrir une consultation de recherche. La communauté des chercheurs a donc été interrogée pour proposer une analyse rapide des dynamiques en cours. Il faut noter à ce sujet qu’il est assez inédit que le monde de la recherche travaille sur un phénomène du présent, de l’immédiat, puisqu’on a peu de données à notre disposition dans cette temporalité. La consultation a permis de retenir trois équipes de recherche complémentaires. Une équipe de chercheurs en sociologie et en géographie quantitative a travaillé sur les données de consultation des annonces de la plateforme leboncoin.fr. Une autre équipe de chercheurs en économie a travaillé sur les données des plateformes meilleursagents.com, seloger.com et sur les contrats de réexpédition de courrier de La Poste. Enfin, une équipe d’une dizaine de chercheurs en sociologie, géographie et aménagement développant des méthodes de recherche qualitatives a réalisé des entretiens dans les Vosges, le Pilat, les Cévennes, les Pyrénées-Audoises et le Lot auprès d’habitants, de collectivités locales (élus et services techniques) et d’agents immobiliers. Ce travail de terrain a été enrichi par l’analyse du fichier des créations d’entreprises dans ces territoires par une économiste. Une douzaine d’agences d’urbanisme ont également été interrogées, aussi bien dans ces territoires qu’ailleurs en France pour compléter le panorama.

 

Quels sont les grands enseignements de cette étude ? Peut-on parler d’exode urbain et donc d’inversion des dynamiques territoriales que l’on connaît ?

Hélène Milet : L’enseignement principal est qu’il n’y a pas d’exode urbain dans le sens où il n’y a pas de phénomène inverse de l’exode rural du XXe siècle. Le terme d’exode urbain a été utilisé comme un « fourre-tout » pour décrire des stratégies et des profils très divers. On ne peut pas parler d’un mouvement sociologique uniforme dans ce que l’on a observé. À l’échelle nationale, notre étude démontre en premier lieu un phénomène de déconcentration urbaine. À la suite du Covid, les centres urbains ont été désavoués, des ménages ont souhaité accéder à un plus grand confort de logement, télétravail aidant. Cela est venu alimenter un phénomène de périurbanisation. Nous sommes là dans la lignée des dynamiques territoriales que l’on connaît. Arrêtons-nous un instant sur cette question du télétravail car elle est présentée dans le débat public comme un vecteur de beaucoup d’espoirs et de solutions dans les territoires ruraux. À ce stade, il est certain que l’accès renforcé au télétravail a pu être un vecteur de déménagement : vers plus d’espace et de confort, vers une résidence secondaire, ou vers un changement de vie qui mêle télétravail et création d’une nouvelle activité. Néanmoins, il faut être prudent sur les effets escomptés du télétravail. D’une part, il ne concerne qu’une faible partie de la population active (30 % tout au plus) et la corrélation entre accueil de télétravailleurs et développement territorial n’est pas encore prouvée. Beaucoup d’acteurs locaux s’interrogent aujourd’hui sur l’opportunité du télétravail en milieu rural. Certes le phénomène existe, mais on le connaît assez mal.

 

Quelles dynamiques ont pu être mises à jour par l’analyse des données de La Poste et des sites meilleursagents.com et seloger.com ? [1] L’agglomération toulousaine se distingue-t-elle du reste du territoire métropolitain ?

Félix Baillet, Marie Breuillé, Camille Grivault, Julie Le Gallo et Olivier Lision : Nous montrons à partir des estimations réalisées sur le site meilleursagents.com que les intentions des urbains de déménager dans une commune urbaine (en comparaison d’une commune rurale) ont diminué en probabilité depuis le début de la crise sanitaire. S’il serait exagéré de parler d’exode urbain, les données des contrats de réexpédition de courrier de La Poste montrent cependant depuis le début de la crise sanitaire un renforcement des flux sortants d’Île-de-France vers la Bretagne, le littoral du Sud-Ouest, des villes moyennes ou des espaces plus ruraux du Bassin parisien, ainsi que vers les zones de montagne des Alpes et du Massif central. Il y a également un renforcement de la dynamique de périurbanisation et une accélération du processus de rééquilibrage de la hiérarchie urbaine. Il faudra cependant confirmer sur un prochain jeu de données actualisées si ces phénomènes sont durables. Nous avons pu identifier trois catégories d’espaces qui ont gagné en attractivité entre mars 2020 et mars 2021 par rapport à la période pré-Covid : d’une part des villes petites et moyennes dans les aires urbaines de moins de 50 000 habitants ; d’autre part des espaces périurbains éloignés, conséquence du desserrement urbain, notamment sensible à Paris et dans les aires urbaines de plus de 700 000 habitants ; enfin des espaces ruraux dans la continuité du phénomène de renaissance rurale. Pour la région toulousaine, les données de La Poste montrent une perte d’attractivité des communes de l’aire de Toulouse et une stagnation ou légère diminution de l’attractivité de sa couronne périurbaine. En revanche, les aires d’attraction de villes plus modestes, situées en périphérie de l’aire de Toulouse ont bénéficié d’importants gains d’attractivité.

 

Quels sont les profils des nouveaux arrivants ? Des particularités ressortent-elles des entretiens menés dans les territoires d’Occitanie ? [2]

Aurélie Delage : Il y a une grande diversité dans les profils, les aspirations et les territoires de prédilection des nouveaux arrivants. Nous les avons regroupés en cinq catégories. D’une part, des retraités et préretraités qui ont rejoint des zones traditionnelles de villégiature bien desservies et équipées, c’est-à-dire le littoral et des campagnes préservées comme Martel dans le Lot. Il s’agit là d’un mouvement bien connu de mobilité résidentielle du nord-est de la France vers le sud-sud-ouest, mouvement que le Covid a peut-être accéléré. On trouve après la grande famille des télétravailleurs sur laquelle la pandémie a eu un impact certain. D’une part des professions intermédiaires en télétravail mais toujours dépendantes de leur lieu d’emploi. Ces nouveaux arrivants se retrouvent dans du périurbain lointain, là où les prix de l’immobilier permettent d’avoir une pièce en plus et des espaces naturels à proximité. L’autre catégorie de télétravailleurs est celle, très médiatisée, des cadres supérieurs qui ont un rapport plus distancié à leur lieu d’emploi, mais surtout la capacité financière de choisir des lieux pittoresques tout en conservant un pied-à-terre dans une métropole. Ce phénomène, qui alimente une forme de gentrification rurale, n’est pour autant pas nouveau. La quatrième catégorie est celle des ménages en reconversion professionnelle ayant tout quitté pour s’installer dans des territoires ruraux. Ils participent ainsi au mouvement de renaissance rurale qu’on connaissait déjà avant la pandémie Covid. Cette dynamique s’observe par exemple avec plus d’intensité depuis six ans dans les Pyrénées-Audoises, terre traditionnelle d’accueil de néoruraux. Pour autant, la pandémie semble avoir été un accélérateur ou tout du moins un catalyseur pour ces personnes. Ce sont souvent des ménages jeunes, très diplômés, avec un fort capital culturel, social et financier. Enfin, on a rencontré des populations marginales et précaires qui quittent davantage les villes depuis le premier confinement pour adopter un mode de vie alternatif plus ou moins radical. Cette dynamique est bien réelle dans le pourtour méditerranéen, à l’image des Pyrénées-Audoises et des Cévennes qui sont depuis longtemps des « territoires refuges ». Leur souhait de rester « sous les radars » est parfois choisi, parfois subi. Pour certains, c’est aussi une alternative à des conditions précaires de vie en ville. Cependant, il est trop tôt pour évaluer la pérennité de ces installations, dont certaines sont notoirement difficiles, notamment les reconversions professionnelles. De même, leurs retombées économiques locales, parfois ambivalentes sur le court terme, seront à évaluer plus finement sur le moyen terme.


Entretien avec Hélène Milet, directrice du programme POPSU Territoires, coordinatrice de l’étude « Exode urbain : impacts de la pandémie de COVID-19 sur les mobilités résidentielles » ; Aurélie Delage (université de Perpignan Via Domitia) pour l’équipe de recherche qualitative pluridisciplinaire ; Félix Baillet, Marie Breuillé, Camille Grivault, Julie Le Gallo et Olivier Lision pour l’équipe de chercheurs en économie et géographie du CESAER , travaillant sur les données meilleursagents.com, seloger.com et La Poste.

Entretien réalisé par Morgane Perset, chargée de mission Dialogues urbains à l’AUAT.


[1] Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec Barbara Castillo-Rico, Thomas Lefebvre, Alexandra Verlhiac et Pierre Vidal de Meilleurs Agents et grâce au partenariat avec La Poste.

[2] Ce volet de l’étude a été coordonné par Anaïs Collet, Aurélie Delage et Max Rousseau (coordinateurs d’une équipe pluridisciplinaire de onze chercheurs) et réalisée en partenariat avec les agences d’urbanisme de Saint-Étienne, Perpignan et Nîmes Alès.


© Aurélie Delage

Contenu additionnel :


Consulter l’étude “Exode urbain ? Petits flux, grands effets : Les mobilités résidentielles à l’ère (post-) Covid” : https://popsu.archi.fr/sites/default/files/2022-02/PopsuTerritoires-exodeurbain_v12.pdf

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